Les chansons

Pour chaque chanson, j'ai joint un lien. J'ai veillé à diversifier les styles et les interprètes. N'hésitez pas à en chercher d'autres qui vous plaisent.

Les chants de ce recueil ont été écrits par des chansonniers vedettes, des paroliers, des syndicalistes, des journalistes, des écrivains, des propagandistes, des leaders politiques ou militaires, des militants anonymes.

Ils ont été diffusés en dépit de la censure par tous les moyens disponibles et chantés à l’occasion de concerts, fêtes, commémorations, manifestations, obsèques, défilés, veillées d’armes ; sous le soleil, les étoiles, la pluie, la neige, les confettis, les balles, les bombes ; derrière des banderoles, des drapeaux, des barricades, des barreaux, des barbelés ; face à la foule, aux forces de l'ordre, aux juges, à la guillotine, au peloton d’exécution...

Qu’ils soient réalistes, poétiques, tendres, sarcastiques, violents, drôles, tristes, nostalgiques, dramatiques, l’espoir d’un monde meilleur n’en est jamais totalement absent ; le combat pour la dignité et la liberté de chacun est une fin en soi et la défaite n’est que provisoire.

La chanson depuis le XIXe siècle

Les enregistrements sonores : ce n'est qu'à partir des années 1920-1930 que les enregistrements sonores deviennent courants. Le phonographe et la radio ne se démocratisent que lentement et les chants internationalistes sont rarement enregistrés. Montéhus, chanteur vedette, grave ses succès d'avant la première guerre mondiale à cette période. Il reste une exception parmi les chansonniers révolutionnaires de l'époque. Jusqu'en 1945, les chansons sont diffusées par d'autres moyens.

Les goguettes : à l’origine, de petits groupes amicaux plutôt masculins, qui se réunissent pour passer un bon moment et chanter, les goguettes se multiplient au XIXeme siècle. Certaines deviennent, ce que l’on appellerait de nos jours des « ateliers d’écriture ». Chacun vient avec ses textes et les membres se critiquent entre eux.

Cette pratique existe partout en France, depuis la capitale jusqu’aux villages les plus reculés, et concerne tous les milieux sociaux (dans les milieux bourgeois, on parle de « sociétés chantantes »). Elle explique la grande diversité dans l’origine sociale des chansonniers.

Les goguettes sont officiellement interdites par Louis Napoléon Bonaparte, puis rétablies sous la troisième république.

Les cafés-concerts : leur développement est favorisé par l’interdiction des goguettes. Il s’agit à l’origine de débits de boisson organisant des concerts musicaux de façon plus ou moins régulière. Durant une bonne partie du XIXeme siècle, une autorisation préalable est nécessaire. Les prix étant bas, les cafés-concerts sont des lieux de mixité sociale – Ils sont souvent appelés cabarets.

L’importance des cafés-concerts diminue avec l’apparition du cinéma au début du XXeme siècle. Ils laissent place au music-hall. Les cabarets qui restent augmentent leurs prix et sont désormais réservés aux plus riches.

Les chanteurs et chanteuses de rue : le principal média de diffusion des chansons avant la radio et le microsillon. A l’issu de sa prestation, le chanteur vend souvent un format c’est à dire une feuille imprimée sur laquelle figurent les paroles et la partition de la chanson.

Les journaux : le site de la bibliothèque nationale recense 65 publications anarchistes entre 1872 et 1914. Les journaux classés anticléricaux sont au nombre de 153. Certaines publications ne sont parues que durant quelques mois, d’autres plusieurs années. De nombreuses chansons de ce recueil ont été publiées par ces médias.

Les socialistes font des émules chez les ouvriers typographes (c’était notamment la profession de Proudhon), et ont donc des moyens de publication. Les chansonniers les plus en vogue publient des recueils de leurs œuvres, parfois en petit nombre d’exemplaires.

Les chorales ouvrières (orphéons) : leur rôle est important dans la diffusion des chansons parmi la classe ouvrière. C’est la chorale de Lille qui met l’Internationale à son répertoire et la rend immensément populaire.

Les réunions et conférences : On chantait fréquemment lors des réunions politiques, des meetings. L'orateur entonnait ses propres chansons ou d'autres "tubes". Louise Michel en fait état dans ses mémoires.

La censure : la question du contrôle des médias n’est pas nouvelle. La déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen affirme le principe de la liberté d’expression, cependant la censure des Etats ne s’assouplit que très lentement au cours du XXe siècle (en France, George Brassens incarne une évolution dans les années 1950). Certaines chansons sont interdites de diffusion radiophonique, pour des paroles trop subversives jusqu'à une période récente.

A la fin du XIXe siècle, en France, les paroles des chansons doivent être validées par la préfecture avant diffusion ; le texte est parfois caviardé : on noircit les vers ou les couplets subversifs, que l’interprète a interdiction de prononcer. Lors des concerts et des récitals, des policiers en civil sont fréquemment mêlés au public pour lutter contre la prostitution clandestine, arrêter les contrevenants et repérer les séditieux.

Les auteurs ont toujours bravé ou contourné la censure, par des moyens divers : sous-entendus, détournement de symboles officiels pour en modifier le sens, diffusion des chansons dans des cadres très privés, publications clandestines… Certaines chansons qui ne nous semblent pas osées, étaient en fait très subversives.

Plus d'infos:

sur la chanson révolutionnaire au XIXe siècle

sur la diffusion des chansons

sur la chanson anarchiste avant 1914

LA CHANSON REVOLUTIONNAIRE

Que la Chanson révolutionnaire soit un moyen et un moyen puissant de propagande, c’est un fait qui ne saurait être sérieusement contesté.

Toutes les époques, toutes les civilisations, tous les Peuples ont eu leurs Chansons, dans lesquelles ils ont exprimé les sentiments qui les animaient, les passions qui les tourmentaient, les desseins qu’ils formaient, les espoirs et les craintes qui les agitaient, les amours et les haines qu’ils nourrissaient.

Tous les grands courants qui ont forgé, forgent et forgeront l’Histoire de l’Humanité, ont eu, ont et auront leurs chants, par lesquels ils s’affirment.

Pas un Culte qui n’ait eu ses cantiques! Pas une Patrie qui n’ait ses chants nationaux! Pas une grande Idée qui n’ait son hymne!

La Révolution sociale, ce bouleversement prodigieux qui, sous son gigantesque effort, fera crouler le Monde de Misère et d’Autorité que nous subissons et, sur les ruines de celui-ci, édifiera un Monde de Bien-Etre et de Liberté, est déjà riche et s’enrichit sans cesse de chansons qui propagent les Idées les plus justes et exaltent les batailles les plus généreuses.

Telle est la mission bienfaisante et féconde de la Chanson révolutionnaire: cris de Révolte contre le Mensonge, l’Iniquité, l’Exploitation, l’Ignorance, la Guerre, l’Autorité; chants de tendresse ardente, de Foi réfléchie et d’Espoir indéfectible en des temps de Vérité, de Justice, de Savoir, de Paix et de Liberté!

C’est cette chanson expressive, empoignante, que le lecteur aura la joie de trouver dans les pages qui suivent.

Sébastien FAURE

Paris – Août 1927

Le Chant des ouvriers (1846)

Nous dont la lampe le matin,
Au clairon du coq se rallume,
Nous tous qu’un salaire incertain
Ramène avant l’aube à l’enclume
Nous qui des bras, des pieds, des mains,
De tout le corps luttons sans cesse,
Sans abriter nos lendemains
Contre le froid de la vieillesse.

Refrain
Aimons-nous et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons, buvons, buvons!
À l’indépendance du monde!

Nos bras sans relâche tendus,
Aux flots jaloux, au sol avare,
Ravissent leurs trésors perdus,
Ce qui nourrit et ce qui pare :
Perles, diamants et métaux,
Fruits du coteau, grains de la plaine ;
Pauvres moutons, quels bons manteaux
Il se tisse avec notre laine !

Quels fruits tirons-nous des labeurs
Qui courbent nos maigres échines?
Où vont les flots de nos sueurs?
Nous ne sommes que des machines.
Nos Babels montent jusqu’au ciel,
La terre nous doit ses merveilles
Dés qu’elles ont fini le miel,
Le maître chasse les abeilles.

Au fils chétif d'un étranger
Nos femmes tendent leurs mamelles,
Et lui plus tard croit déroger
En daignant s'asseoir auprès d'elles.
De nos jours, le droit du seigneur
Pèse sur nous plus despotique :
Nos filles vendent leur honneur
Aux derniers courtauds de boutique.

Mal vêtus, logés dans des trous,
Sous les combles, dans les décombres
Nous vivons avec les hiboux
Et les larrons amis des ombres;
Cependant notre sang vermeil
Coule impétueux dans nos veines
Nous nous plairions au grand soleil
Et sous les rameaux verts des chênes.

À chaque fois que par torrents
Notre sang coule sur le monde,
C’est toujours pour quelques tyrans
Que cette rosée est féconde;
Ménageons-le dorénavant
L’amour est plus fort que la guerre;
En attendant qu’un meilleur vent
Souffle du ciel ou de la terre.

On trouve certains des thèmes des chansons révolutionnaires postérieures : la misère des pauvres qui produisent les richesses en travaillant dur, mais n’en retirent que les miettes en temps de paix et doivent de surcroît faire la guerre au profit des puissants, en rêvant d’un monde meilleur. L’auteur y fait des allusions à la campagne, ce qu’on trouve rarement dans les chansons ultérieures. Sans doute bien des ouvriers regrettent la condition de paysan de leurs parents, très probablement idéalisée. De berger, l’homme est réduit à l’état de mouton – l’animalisation (on parlerait aujourd'hui de déshumanisation) des ouvriers est un thème courant dans les chansons. Par ailleurs, en France, la révolution industrielle n'en est qu'à ses début. Le pays reste essentiellement rural mais la vie des paysans n'en est pas moins dure. La condition des femmes du peuple, nourrices où objets sexuels à destination des puissants est dénoncée, ce qui est rare dans les textes de l’époque.

L’idée d’une révolte violente est absente du texte ; l’auteur en appelle à l’amour pour changer le monde, peut-être 'pour contourner la censure, peut-être parce qu'il y croit. Bon nombre de socialistes de l'époque ont un côté mystique et parfois religieux.

Pierre Dupont chante cette chanson durant les banquets républicains précurseurs de la révolution de 1848 (d'où le refrain à boire). Elle est mentionnée par Karl Marx.

Eugéne Philippe

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Refrain
Ce sont des amis éprouvés,
Crions tous : "Vivent les pavés !" (x2)

Loin d'être dans les rétrogrades
Les pavés font distinction
C'est pour parer les barricades
Et c'est dans l'opposition

A leur fermeté, rendons grâce,
Ce sont eux qui nous ont sauvés :
Tous, contre une odieuse race,
Avec nous ils se sont levés.

Leur éloquence est de nature
A faire de l'impression,
Nos mouchards ont la tête dure,
Mais ils ont senti la raison.

Chacun saisit son interprète
Leurs solides raisonnements ;
On ne peut que baisser la tête
Devant de pareils arguments.

Et pourtant, l'odieuse foule
Les traite avec indignité,
Et chaque jour aux pieds on foule
Ces sauveurs de la liberté.

Se sont-ils, sous un nouveau règne,
Dans les antichambres pressés ?
Beaucoup, Sans qu'aucun d'eux s'en plaigne,
Ne sont pas encore replacés.

Bientôt, leur gloire répandue
Anima leurs nobles rivaux :
Partout la puissance absolue
Aura les pavés sur le dos

Et par eux, au loin affermie,
Liberté, tu ne laisseras
De refuge à la tyrannie
Qu'aux lieux où l'on ne pave pas.

Refrain


Jusqu’en mai 1968, les rues sont dépavées à chaque révolte sociale. Les pavés servent à la fois de matériaux pour l’édification des barricades et de projectiles contre les forces de l’ordre. A travers eux, c’est à la révolte populaire que la chanson rend un hommage humoristique.


Chanson en l'honneur des pavés (1848)

La canaille (1865)


Dans la vieille cité française
Existe une race de fer,
Dont l’âme comme une fournaise
A de son feu bronzé la chair.
Tous ses fils naissent sur la paille,
Pour palais, ils n’ont qu’un taudis.
C’est la canaille !
Eh bien ! j’en suis !

Ce n’est pas le pilier du bagne ;
C’est l’honnête homme dont la main
Par la plume ou le marteau gagne,
En suant, son morceau de pain.
C’est le père, enfin, qui travaille
Les jours et quelquefois les nuits.
C’est la canaille ! etc.

C’est l’artiste, c’est le bohème
Qui, sans souper, rime rêveur
Un sonnet à celle qu’il aime,
Trompant l’estomac par le cœur.
C’est à crédit qu’il fait ripaille,
Qu’il loge et qu’il a des habits.
C’est la canaille ! etc.

C’est l’homme à la face terreuse,
Au corps maigre, à l’œil de hibou,
Au bras de fer à main nerveuse
Qui sortant d’on ne sait pas où,
Toujours avec esprit vous raille,
Se riant de votre mépris.
C’est la canaille ! Etc.

C’est l’enfant que la destinée
Force à rejeter ses haillons,
Quand sonne sa vingtième année,
Pour entrer dans nos bataillons.
Chair à canon de la bataille,
Toujours il succombe sans cris…
C’est la canaille ! etc.

Ils fredonnaient la Marseillaise,
Nos pères, les vieux vagabonds,
Attaquant en quatre-vingt-treize
Les bastilles dont les canons
Défendaient la vieille muraille !
Que de trembleurs ont dit depuis :
- « C’est la canaille ! » etc.

Les uns travaillent par la plume,
Le front dégarni de cheveux.
Les autres martèlent l’enclume,
Et se soûlent pour être heureux ;
Car la misère, en sa tenaille,
Fait saigner leurs flancs amaigris…
C’est la canaille ! etc.

Enfin, c’est une armée immense,
Vêtue en haillons, en sabots.
Mais qu’aujourd’hui la vieille France
Les appelle sous ses drapeaux,
On les verra dans la mitraille,
Ils feront dire aux ennemis :
C’est la canaille !
Eh bien ! j’en suis !

Bouvier s’adresse à la bourgeoisie, pas seulement du point de vue de la classe ouvrière mais de la classe populaire urbaine en général, y compris les intellectuels et les poètes. L’auteur s’honore de faire partie de la canaille, renversant l’insulte dont les pauvres font l’objet, un procédé littéraire que l’on retrouve dans plusieurs chansons, toujours utilisé dans les luttes sociales actuelles

Les femmes sont totalement absentes. L’alcoolisme est mentionné ; il fait des ravages chez les ouvriers et l’ivrognerie fait partie des raisons avancées dans la presse bourgeoise pour justifier leur condition.

Un couplet fait référence à la révolution française, soulignant que la canaille était sur les champs de bataille, tandis que la bourgeoisie se planquait ; l’on retrouve le thème de la mobilisation pour la patrie, au profit des bourgeois trop lâches pour se battre.

On y voit poindre un nouveau thème, plus tard cher aux socialistes : les soldats ennemis fraterniseront avec les français.

Ce chant a été repris pendant la commune.

Le temps des cerises (1866)

Quand nous en serons au temps des cerises
Et gai rossignol et merle moqueur
Seront tous en fête
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au coeur
Quand nous chanterons le temps des cerises
Sifflera bien mieux le merle moqueur

Mais il est bien court le temps des cerises
Où l'on s'en va deux cueillir en rêvant
Des pendants d'oreilles
Cerises d'amour aux robes pareilles
Tombant sous la feuille en gouttes de sang
Mais il est bien court le temps des cerises
Pendants de corail qu'on cueille en rêvant

Quand vous en serez au temps des cerises
Si vous avez peur des chagrins d'amour
Évitez les belles
Moi qui ne crains pas les peines cruelles
Je ne vivrai pas sans souffrir un jour
Quand vous en serez au temps des cerises
Vous aurez aussi des chagrins d'amour

J'aimerai toujours le temps des cerises
C'est de ce temps-là que je garde au coeur
Une plaie ouverte
Et Dame Fortune, en m'étant offerte
Ne saura jamais calmer ma douleur
J'aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au coeur.

Cette chanson d’amour dont les paroles n’étaient pas politiques a été écrite durant un séjour de l'auteur en Belgique, où l'auteur avait du se réfugier pour des articles déplaisant à l'empereur. Clément a écrit de nombreuses chants engagées, mais également des chansons "pour un morceau de pain", selon ses propres termes. Cette chanson faisait partie de la seconde catégorie.

Elle n'a pas été chantée durant la Commune, mais la personnalité de son auteur, la nostalgie des jours heureux, la couleur rouge sang des cerises et le regret d’un amour d’une saison, ainsi sans doute le fait qu'il soit impossible de censurer les paroles en font un texte emblématique de la révolte tragique, reprise d’innombrables fois depuis, y compris par des artistes étrangers.

L’auteur dédie cette chanson en 1882 à Louise, une jeune ouvrière/infirmière de 20 ans, restée jusqu’au dernier moment auprès de lui, parmi les autres défenseurs de la dernière barricade, rue de la Fontaine au Roi, le 28 mai 1871 et qui refusait d'abandonner les blessés. Il ne l'a jamais revue.

Il termine sa longue dédicace par ces mots : "N'était-ce pas à cette héroïne obscure que je devais dédier la chanson la plus populaire de toutes celles que contient ce volume ?"

Femmes de la Commune

Paris pour un beefsteak (1870).

Vive la Paix ! La France est aux enchères ;
Demain, bourgeois, vous pourrez regoinfrer.

Bismarck attend au château de Ferrières
Que dans Paris, Thiers lui dise d’entrer.
Favre griffonne un dernier protocole,
Trochu renonce à son plan incompris…


Allons Brébant, tourne la casserole : Pour un beefsteak, on va vendre Paris (bis)

Que font à moi l’Alsace et la Lorraine ?
Dans ces pays, je n’ai ni champ ni bien.
Que le Prussien nous les laisse ou les prenne,
Je m’en bats l’œil, car je n’y perdrais rien.
Plus que Strasbourg, ma table m’intéresse :
Metz ne vaut pas une aile de perdrix ;


Et puis, tout ça fait bouder ma maîtresse… Pour un beefsteak, messieurs, rendons Paris (bis)

J’entends des fous parler de résistance,
De lutte à mort, de patrie et d’honneur !
Mon ventre seul exige une vengeance :
Sous le nombril j’ai descendu mon cœur.
Libre aux manants de rester patriotes,
Et de mourir sous les feux ennemis ;

Moi, j’aime mieux la sauce aux échalotes… Pour un beefsteak, messieurs, rendons Paris.

On dit encor que la France est mourante ;
Que l’étranger lui ronge les deux flancs ;
Et que partout, sous leur botte sanglante,
Comme des serfs, nous courbent les uhlans.
Pleure qui veut de cette scène amère,
Mais que la paix mette fin à ces cris !


La viande manque chez ma cuisinière… Pour un beefsteak, messieurs, rendons Paris.

Allons, c’est dit, bobonne, fais toilette ;
Au salon bleu remets des rideaux neufs.
Et toi, Manon, va battre l’omelette :
Grâce aux Prussiens, nous mangerons des œufs.
Je veux demain recevoir à ma table
Trois Bavarois, et je veux qu’on soit gris…


Vive la paix ! la Patrie est au diable ! Pour un beefsteak, on a rendu Paris.

Paul Brébant est un célèbre cuisinier et restaurateur. Le gris est la couleur des uniformes allemands.

Uhlans : cavalerie légère allemande.

Bismark est le ministre-président du royaume de Prusse. Favre est un homme politique français, maire du 17eme arrondissement. Républicain modéré, il quittera Paris au moment de l'a Commune. Le général Trochu devient président du gouvernement de défense nationale en septembre 1870. Il organise la défense de Paris et prétend poursuivre la guerre. Cependant, le gouvernement bourgeois se méfie de la population parisienne très agitée.

Durant l’hiver 1870, les prussiens assiègent Paris. Les riches dévorent tous les animaux du jardin des plantes, les pauvres mangent les rats et le cuir bouilli. La ville doit également subir les bombardements ennemis. La population, mobilisée, constitue une garde nationale qui renforce les troupes régulières et les parisiens se cotisent pour acheter des canons, disposés à Montmartre.

Lorsque le gouvernement de Thiers, la gauche, négocie la reddition française, ôtant ainsi toute justification aux souffrances de la capitale, les parisiens considèrent qu’il s’agit d’une trahison. C’est à cette décision politique que cette chanson satirique fait référence.

Le thème du peuple combattant et courageux contrastant avec la lâcheté de ses dirigeants qui se gavent est fréquent dans les chansons, mais cette féroce satire n’appelle pas à la révolte, contrairement à la chanson "Bonhomme" du même auteur.

La famine durant le siège de Paris

J'attends une belle,

Une belle enfant,

J'appelle, j'appelle,

J'en parle au passant.

Ah! je l'attends, je l'attends !

L'attendrai-je encor longtemps ?


J'appelle, j'appelle,

J'en parle au passant.

Que suis-je sans elle ?

Un agonisant.

Ah! je l'attends, je l'attends !

L'attendrai-je encor longtemps ?


Que suis-je sans elle ?

Un agonisant.

Je vais sans semelle,

Sans rien sous la dent..

Ah! je l'attends, je l'attends !

L'attendrai-je encor longtemps ?


Je vais sans semelle,

Sans rien sous la dent

Transi quand il gèle,

Sans gîte souvent.

Ah! je l'attends, je l'attends !

L'attendrai-je encor longtemps ?


Transi quand il gèle,

Sans gîte souvent,

J'ai dans la cervelle

Des mots et du vent..

Ah! je l'attends, je l'attends !

L'attendrai-je encor longtemps ?


J'ai dans la cervelle

Des mots et du vent.

Bétail on m'attelle

Esclave on me vend.

Ah! je l'attends, je l'attends!

L'attendrai-je encor longtemps?

Bétail, on m'attelle.

Esclave, on me vend.

La guerre est cruelle,

L'usurier pressant.

Ah! je l'attends, je l'attends!

L'attendrai-je encor longtemps?

La guerre est cruelle,

L'usurier pressant.

L'un suce ma moelle,

L'autre boit mon sang.

Ah! je l'attends, je l'attends!

L'attendrai-je encor longtemps ?

L'un suce ma moelle,

L'autre boit mon sang.

Ma misère est telle

Que j'en suis méchant.

Ah je l'attends, je l'attends!

L'attendrai-je encor longtemps ?

Ma misère est telle

Que j'en suis méchant.

Ah! viens donc, la belle

Guérir ton amant!

Ah! je l'attends, je l'attends!

L'attendrai-je encore longtemps ?

L’objet de l’attente de l’auteur n’est pas défini. L’on comprend cependant qu’il s’agit de la fin de ses misères, longuement décrites : un travail épuisant, le froid, la faim, le harcèlement par les créanciers, la guerre. La belle enfant attendue est donc la République Rouge la République Sociale, où la Sociale.

Le texte se termine sur la déchéance morale qu’entraînent ces conditions de vie. La presse bourgeoise versaillaise justifie quant à elle l’éradication la Commune, par l’immoralité fondamentale de la population ouvrière, qui a la folie et l’indécence de prétendre se gouverner elle-même.

Les internationalistes considèrent que la bourgeoisie capitaliste dominante est responsable des problèmes sociaux, y compris de la délinquance, au moins en partie. Cette vision est plus ou moins partagée par la gauche parlementaire. On trouvera cette idée dans bon nombre de chansons ultérieures.

La violence est absente du texte. Dans les premières semaines de la Commune, de nombreux communards pensent qu’une négociation est possible, si le rapport de force est suffisant.

Quand viendra-t-elle ? (1870)


Oui barbare je suis
Oui j'aime le canon
La mitraille dans l'air
Amis, amis, dansons.

La danse des bombes
Garde à vous ! Voici les lions !
Le tonnerre de la bataille gronde sur nous
Amis chantons, amis dansons
La danse des bombes
Garde à vous ! Voici les lions !
Le tonnerre de la bataille gronde sur nous
Amis chantons !

L'acre odeur de la poudre
qui se mêle à l'encens.
Ma voix frappant la voûte
et l'orgue qui perd ses temps.

La nuit est écarlate.
Trempez-y vos drapeaux
Aux enfants de Montmartre,
la victoire ou le tombeau !
Aux enfants de Montmartre,
la victoire ou le tombeau !

Oui barbare je suis,
Oui j'aime le canon,
Oui, mon cœur je le jette
à la révolution !

Les paroles auraient été écrites dans une église durant les bombardements. L’autrice reprend à son compte les qualificatifs de la presse versaillaise, vis à vis des communards (barbares) et plus particulièrement des communardes (les « pétroleuses », qui mettent le feu à la ville et qui n'ont probablement jamais existé).

La chanson évoque la violence des combats et des bombardements. La nuit écarlate fait référence aux incendies qui font rage dans Paris, le gouvernement français faisant usage de bombes incendiaires (ce que les Prussiens n’avaient pas fait), tandis que des communards mettent le feu pour ralentir l’avancée de l’armée versaillaise, qui elle-même allume des incendies pour déloger les combattants des immeubles. Les enfants de Montmartre sont les communards (la commune a été proclamée suite à la tentative du gouvernement de s'emparer des canons de la butte Montmartre).


Louise Michel en uniforme de la garde nationale

La danse des bombes (1871)

La Marseillaise de la Commune (1871)

Mme Jules Faure

Français, ne soyons plus esclaves !,
Sous le drapeau, rallions-nous.
Sous nos pas, brisons les entraves,
Quatre-vingt-neuf, réveillez-vous. (bis)
Frappons du dernier anathème
Ceux qui, par un stupide orgueil,
Ont ouvert le sombre cercueil
De nos frères morts sans emblème.

Refrain:

Chantons la liberté,
Défendons la cité,
Marchons, marchons, sans souverain,
Le peuple aura du pain.

Depuis vingt ans que tu sommeilles,
Peuple français, réveille-toi,
L’heure qui sonne à tes oreilles,
C’est l’heure du salut pour toi.(bis)
Peuple, debout ! que la victoire
Guide au combat tes fiers guerriers,
Rends à la France ses lauriers,
Son rang et son antique gloire.
(refrain)

Les voyez-vous ces mille braves
Marcher à l’immortalité,
Le maître a vendu ses esclaves,
Et nous chantons la liberté. (bis)
Non, plus de rois, plus de couronnes,
Assez de sang, assez de deuil,
Que l’oubli dans son froid linceul
Enveloppe sceptres et trônes.
(refrain)

Plus de sanglots dans les chaumières
Quand le conscrit part du foyer;
Laissez, laissez, les pauvres mères
Près de leurs fils s’agenouiller. (bis)
Progrès ! que ta vive lumière
Descende sur tous nos enfants,
Que l’homme soit libre en ses champs,
Que l’impôt ne soit plus barrière.
(refrain)

N’exaltez plus vos lois nouvelles,
Le peuple est sourd à vos accents,
Assez de phrases solennelles,
Assez de mots vides de sens. (bis)
Français, la plus belle victoire,
C’est la conquête de tes droits,
Ce sont là tes plus beaux exploits
Que puisse enregistrer l’histoire.
(refrain)

Peuple, que l’honneur soit ton guide,
Que la justice soit tes lois,
Que l’ouvrier ne soit plus avide
Du manteau qui couvrait nos rois. (bis)
Que du sien de la nuit profonde
Où l’enchaînait la royauté,
Le flambeau de la Liberté
S’élève et brille sur le monde !
(refrain)

Un détournement de la Marseillaise écrit durant la Commune de Paris. A cette époque, la Marseillaise de Rouget le L'Isle n'est pas encore l'hymne national officiel. Elle reste un chant révolutionnaire et est d'ailleurs chantée lors des soulèvements populaires. De nombreux Communards considèrent que la révolution française doit être poursuivie ; la Marseillaise est donc chantée durant la Commune de Paris.

Etant également chantée par les armées françaises, elle commence à être remise en cause. Louise Michel écrit à son propos : "L'Empire l'a profanée, nous autres révoltés nous ne la chantons plus". Il est donc logique qu'apparaissent de nouvelles versions du fameux chant révolutionnaire.

Dans cette nouvelle version, l'ennemi n'est pas l'étranger qui vient égorger nos fils et nos compagnes, mais le dirigeant autoritaire, et (c'est sous-entendu), ceux qui s'opposent à l'émancipation du peuple et à sa volonté. La chanson appelle au soulèvement contre l'empire, à la défense de la ville, mais on y trouve moins d'éléments socialistes que dans la majorité des chansons communardes (voir Bonhomme, ci-dessous)

Je n'ai rien trouvé sur l'autrice de la chanson, non plus que sur Jules Faure qui serait son mari.

Commune de Paris - réunion de femmes

Bonhomme (1871)

Bonhomme, ne sens-tu pas
Qu’il est temps que tu te réveilles,
Lonlaire,
Bonhomme, ne sens-tu pas
Qu’il est temps que tu te réveilles ?
Lonla ?
Voilà vingt ans que tu sommeilles,
Voilà vingt ans qu’à tes oreilles
La Liberté pleure et gémit.
Bonhomme,
Bonhomme,
Lève-toi, le jour luit.

Refrain
Vive la République Lonlaire, Vive la République, Lonla (bis)


Bonhomme, n’écoute pas
Ces tribuns que les sots admirent,
Lonlaire,
Bonhomme, n’écoute pas
Ces tribuns que les sots admirent,
Lonla !
C’est contre toi seul qu’ils conspirent,
Ce sont ceux-là qui te trahirent
En juin quand tu te levas.
Bonhomme,
Bonhomme,
Garde-toi des Judas.


Bonhomme, ne sais-tu pas
Qu’à toi seul appartient la terre,
Lonlaire,
Bonhomme, ne sais-tu pas
Qu’à toi seul appartient la terre,
Lonla !
Sans être écrits chez le notaire,
Tous tes droits, humble prolétaire,
Sont au contrat d’égalité !

Bonhomme,
Bonhomme,
Guerre à qui t’a volé !

Bonhomme, ne sens-tu pas
Qu’à tes bras on a mis des chaînes !
Lonlaire
Bonhomme, ne sens-tu pas
Qu’à tes bras on a mis des chaînes !
Lonla !
Jadis de tes mains souveraines,
De tes épaules plébéiennes,
Tu jetas la Bastille en bas!
Bonhomme,
Bonhomme,
Qu’as—tu fait de tes bras ?

Bonhomme, n’entends-tu pas
Le voisin railler ta misère !
Lonlaire,
Bonhomme, n’entends-tu pas
Le voisin railler ta misère!
Lonla !
Il dit que ton sang dégénère,
Ton âme, autrefois si fière,
S’affaisse aujourd’hui dans la peur!
Bonhomme,
Bonhomme,
Qu’as-tu fait de ton cœur ?

Bonhomme, n’entends-tu pas
Un refrain de chanson française,
Lonlaire,
Bonhomme, n’entends-tu pas
Un refrain de chanson française,
Lonla !
C’est celui de la Marseillaise,
Celui qui fit quatre-vingt-treize!
A ce chant-là laisse l’outil.
Bonhomme,
Bonhomme,
Va chercher ton fusil!.

Refrain ultérieur (plus souvent chanté) : Et vive la Commune Bon Dieu et vive la Commune (bis)
On ne chante pas les lonlaires et les lonlas des couplets

Les vingt ans de gémissements à l’oreille de Bonhomme correspondent à la durée du Second Empire, au cours duquel les libertés politiques ont été considérablement réduites.

Le second couplet évoque les fusillades de juin 1848, lorsque le gouvernement de la seconde république a fait tirer sur le peuple. L’ennemi désigné est donc le bourgeois, qu’il soit de droite ou de gauche, qui fait de beaux discours, mais trahit le peuple.

La chanson évoque ensuite la révolte contre les possédants et la légitime redistribution des terres. La collectivisation n’est pas évoquée.

La révolte est nécessaire fut-ce en utilisant la force, pour mettre fin aux injustices sociales, dans l’esprit et conformément aux idéaux de la révolution française considérée comme inachevée par Auguste Blanqui et une bonne partie des communards (1793 voit l’avènement de la 1ere république).

Louise Michel écrit :

« La foule chante la Marseillaise. Mais l’Empire l’a profanée ; nous, les révoltés, nous ne la disons plus. La chanson du Bonhomme passe coupant l’air avec ses refrains vibrants : Bonhomme, bonhomme, aiguise bien ta faux ! »

Sauf des mouchards et des gendarmes,
On ne voit plus par les chemins,
Que des vieillards tristes en larmes,
Des veuves et des orphelins.
Paris suinte la misère,
Les heureux mêmes sont tremblant.
La mode est aux conseils de guerre,
Et les pavés sont tous sanglants.


Refrain :
Oui mais!
Ça branle dans le manche,
Les mauvais jours finiront.
Et gare! à la revanche,
Quand tous les pauvres s'y mettront.
Quand tous les pauvres s'y mettront.


Les journaux de l'ex-préfecture,
Les flibustiers, les gens tarés,
Les parvenus par aventure,
Les complaisants, les décorés
Gens de Bourse et de coin de rues,
Amants de filles au rebut,
Grouillent comme un tas de verrues,
Sur les cadavres des vaincus.

On traque, on enchaîne, on fusille
Tout ceux qu'on ramasse au hasard.

La mère à côté de sa fille,
L'enfant dans les bras du vieillard.
Les châtiments du drapeau rouge
Sont remplacés par la terreur
De tous les chenapans de bouges,
Valets de rois et d'empereurs.

Nous voilà rendus aux jésuites
Aux Mac-Mahon, aux Dupanloup.
Il va pleuvoir des eaux bénites,
Les troncs vont faire un argent fou.

Dès demain, en réjouissance
Et Saint Eustache et l'Opéra
Vont se refaire concurrence,
Et le bagne se peuplera.




Demain les manons, les lorettes

Refleuriront sur les trottoirs
Et les dames des beaux faubourgs
Porteront sur leurs collerettes
Des chassepots et des tambours
On mettra tout au tricolore,
Les plats du jour et les rubans,

Pendant que le héros Pandore
Fera fusiller nos enfants.

Demain les gens de la police
Refleuriront sur le trottoir,
Fiers de leurs états de service,
Et le pistolet en sautoir.
Sans pain, sans travail et sans armes,
Nous allons être gouvernés
Par des mouchards et des gendarmes,
Des sabre-peuple et des curés.


Le peuple au collier de misère
Sera-t-il donc toujours rivé?
Jusque à quand les gens de guerre
Tiendront-ils le haut du pavé ?
Jusques à quand la Sainte Clique
Nous croira-t-elle un vil bétail ?
À quand enfin la République
De la Justice et du Travail.

Le général Mac-Mahon proclame à la fin de la semaine sanglante : « Habitants de Paris, l'armée de la France est venue vous sauver (...) Aujourd'hui la lutte est terminée ; l'ordre, le travail et la sécurité vont renaître. » . Dupanloup est un prêtre célèbre pour ses prêches enflammés.

Le chassepot est le fusil de l’armée française. Un pandore désigne un policier, depuis que Nadeau, chansonnier célèbre a écrit une chanson dans laquelle son personnage, un gendarme obéissant et stupide porte ce nom.

Une Manon est une femme du peuple, une Lorette, une prostituée qui se fait entretenir par un ou plusieurs amants bourgeois. Paris est considéré à cette époque comme le bordel de l'Europe. Les socialistes perçoivent la prostitution comme une forme d'exploitation particulièrement odieuse, liée à la misère. Pendant la commune, les bourgeois ayant quitté la ville, les affaires ne marchent plus.

Parmi les ennemis du peuple, le clergé vient en bonne place, ce qui n'est pas le cas dans les chansons antérieures.

Il est question des mouchards ; pour les deux millions d’habitants que comptait Paris à l’époque, on compte 400.000 dénonciations de communards.

La haine de classe est à son comble. Le peuple a été fusillé au tas, il subit l’humiliation des vaincu et est placé sous étroite surveillance. Il se sent plus que jamais considéré comme du bétail. Un élément nouveau apparaît : l’anticléricalisme. La religion est désormais perçue par les Internationalistes comme une pièce essentielle du système bourgeois capitaliste.

La semaine sanglante fait entre 10.000 et 35.000 morts parmi les révoltés, en 5 jours seulement.

La chanson cartonne encore dans les zads du XXIe siècle

Fusillades lors de la semaine sanglante

La semaine sanglante (1871)

Debout, les damnés de la terre
Debout, les forçats de la faim
La raison tonne en son cratère,
C'est l'éruption de la faim.
Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout, debout
Le monde va changer de base,
Nous ne sommes rien, soyons tout.

Refrain (répété deux fois)
C'est la lutte finale ;
Groupons nous et demain
L'Internationale
Sera le genre humain.

Il n'est pas de sauveur suprême
Ni Dieu, ni César, ni Tribun,
Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes
Décrétons le salut commun.
Pour que le voleur rende gorge,
Pour tirer l'esprit du cachot,
Soufflons nous-mêmes notre forge,
Battons le fer tant qu'il est chaud.

L'État opprime et la Loi triche,
L'impôt saigne le malheureux ;
Nul devoir ne s'impose au riche ;
Le droit du pauvre est un mot creux
C'est assez languir en tutelle,
L'Égalité veut d'autres lois ;
"Pas de droits sans devoirs, dit-elle
Égaux pas de devoirs sans droits."

Hideux dans leur apothéose,
Les rois de la mine et du rail
Ont-ils jamais fait autre chose
Que dévaliser le travail ?
Dans les coffres-forts de la banque
Ce qu'il a créé s'est fondu,
En décrétant qu'on le lui rende,
Le peuple ne veut que son dû.

Les rois nous saoulaient de fumée,
Paix entre nous, guerre aux Tyrans
Appliquons la grève aux armées,
Crosse en l'air et rompons les rangs !
S'ils s'obstinent ces cannibales
A faire de nous des héros,
Ils sauront bientôt que nos balles
Sont pour nos propres généraux.

Ouvriers, paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs,
La terre n'appartient qu'aux hommes,
L'oisif ira loger ailleurs.
Combien de nos chairs se repaissent !
Mais si les corbeaux, les vautours,

Un de ces matins disparaissent,
Le soleil brillera toujours.

C’est depuis sa cachette parisienne que Pottier écrit cette chanson, durant la semaine sanglante. Le ton a nettement changé : le peuple crie vengeance. La lutte de classes qui n’est pas de son fait est devenue une guerre.

L’appel à l’Internationale ouvrière pour remporter la lutte de classe va de soi pour bon nombre de militants ; la Commune de Paris comptait sur l’appui d’un soulèvement général des villes de France, mais seules Lyon et Marseille sont entrées en lutte et trop faiblement pour constituer un soutien significatif. L’insurrection, considère-t-on alors, devrait absolument être générale, car la lutte serait à mort comme l’expérience le prouvait.

L’armée est appelée à soutenir le peuple, les ennemis désignés étant les généraux, ce qui fait référence à la journée du 18 mars 1871, lorsque les soldats du 88eme régiment d’infanterie refusent de tirer sur la foule venue les empêcher de reprendre les canons de la butte Montmartre et abattent leur général, déclenchant l’insurrection.

La chanson est, lors de sa publication dédiée à Gustave Lefrançais, un anarchiste signataire du pacte de Saint Imier.

Un an après la mort de son auteur, la chorale ouvrière de Lille la met à son répertoire, commandant une musique à Pierre Degeyter, ouvrier tourneur et musicien. La chanson connait un succès immédiat. Elle est très rapidement traduite en Allemand puis en d'autres langues. Elle est chantée lors des obsèques de Louise Michel et devient officiellement l’hymne de l’Internationale Communiste, après son adoption par Lénine en 1917, en hommage à la commune de Paris, que le révolutionnaire tout comme Marx considérait comme un événement fondateur, quoique non socialiste. Elle est la chanson française la plus chantée au monde, traduite en plus de 120 langues.

Caricature d'une communarde (presse versaillaire)

L’internationale (1871)


Refrain :

"Au mur" disait le capitaine

La bouche pleine et buvant dur

"Au mur"

Qu'avez-vous fait ?


Je suis des vôtres

Je suis vicaire à Saint Bernard

J'ai dû pour échapper aux autres

Rester huit jours dans un placard

Qu'avez vous fait ?

Oh! Pas grand chose

De la misère et des enfants

Il est temps que je me repose

J'ai soixante dix ans

Allons-y tout de suite

Et fusillez-moi vite


Voici la liste

Avec les noms de cent coquins

Femmes et enfants de communistes

Fusillez-moi tous ces gredins.

Qu'avez-vous fait ?

Je suis la veuve d'un officier

Mort au Bourget

Et tenez en voici la preuve

Regardez s'il vous plaît.

Oh! Moi je porte encore

Mon brassard tricolore

Jean Baptiste Clément a trouvé refuge en Angleterre où il écrit cette chanson qui évoque l’inhumanité et l’arbitraire des exécutions sommaires de la semaine sanglante. Le capitaine est totalement dénué d’empathie : il se nomme « Au Mur » et picole. Il semble que la chanson n’exagère pas, puisque la répression a fait entre 8.000 et 35.000 victimes, selon les historiens. Ceux qui optent pour un nombre de victimes inférieur à 30.000, considèrent qu'il est impossible avec les moyens de l'époque de tuer autant d'êtres humains en aussi peu de temps. Il est donc avéré que le gouvernement versaillais a tué autant de gens qu'il était en son pouvoir. Le mur en question est celui des fusillés du Père Lachaise où ont eu lieu les ultimes combats. Le chassepot est le fusil de l’armée française. L’auteur évoque les dénonciations et termine sur un combattant héroïque qui montre son cul au bourreau et assume ses actes. Le message est clair : aucune répression, si atroce soit-elle n’anéantira la révolte.

Quatre blessures

Six campagnes et deux congés

Je leur en ai fait voir de dures

Je suis Lorrain, ils sont vengés

Moi, j'étais dans une ambulance

Les femmes ne se battent pas

Et j'ai soigné sans différence

Fédérés et soldats

Moi, je m'appelle Auguste

Et j'ai treize ans tout juste

Oh! Je suis mort

Un soldat sans doute enivré

A tué mon père à la porte

Et mon crime est d'avoir pleuré

Qu'avez-vous fait ?

Sale charogne

Fais moi vite trouer la peau

Car j'en ai fait de la besogne

Avec mon chassepot

Et d'un, tu vois ma lune

Et deux, vive la commune !

L e Capitaine "Au mur" (1872)

Décharné, de haillons vêtu
Fou de fièvre, au coin d’un impasse,
Jean Misère s’est abattu.
« Douleur, dit-il, n’es-tu pas lasse ? »

Refrain :

Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Pas un astre et pas un ami !
La place est déserte et perdue.
S’il faisait sec, j’aurais dormi,
Il pleut de la neige fondue.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Est-ce la fin, mon vieux pavé ?
Tu vois : ni gîte, ni pitance,
Ah ! la poche au fiel a crevé ;
Je voudrais vomir l’existence.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…


Je fus bon ouvrier tailleur.
Vieux, que suis-je ? une loque immonde.
C’est l’histoire du travailleur,
Depuis que notre monde est monde.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Maigre salaire et nul repos,
Il faut qu’on s’y fasse ou qu’on crève,
Bonnets carrés et chassepots
Ne se mettent jamais en grève.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Malheur ! ils nous font la leçon,
Ils prêchent l’ordre et la famille ;
Leur guerre a tué mon garçon,
Leur luxe a débauché ma fille !
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?


De ces détrousseurs inhumains,
L’Église bénit les sacoches ;
Et leur bon Dieu nous tient les mains
Pendant qu’on fouille dans nos poches.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Un jour, le Ciel s’est éclairé,
Le soleil a lui dans mon bouge ;
J’ai pris l’arme d’un fédéré
Et j’ai suivi le drapeau rouge.
Ah ! Mais… Ça ne finira donc jamais ?…

Mais, par mille on nous coucha bas ;
C’était sinistre au clair de lune ;
Quand on m’a retiré du tas,
J’ai crié : Vive la Commune !
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Adieu, martyrs de Satory,
Adieu, nos châteaux en Espagne !
Ah ! mourons !… ce monde est pourri ;
On en sort comme on sort d’un bagne.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

À la morgue on coucha son corps,
Et tous les jours, dalles de pierre,
Vous étalez de nouveaux morts :
Les Otages de la misère !
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?….

Satory un quartier de Versailles, était le lieu de réclusion des communards après la semaine sanglante ; des centaines de personnes y sont mortes de manque du typhus et de manque de soins.

Le bonnet carré est celui des juges, le chassepot est le fusil de l'armée française.

Pottier ne commémore pas seulement les victimes de la semaine sanglante mais également les captifs morts en prison.

L'auteur est chrétien au début de sa carrière militante. Il devient de plus en plus anti-clérical avec le temps, car l'Eglise catholique se positionne en faveur du pouvoir bourgeois.

La chanson rappelle la condition misérable des ouvriers, cause de la révolte. On n’est plus dans la colère de l’internationale, mais dans la mémoire du martyre. La chanson est datée de 1873. Pottier est à ce moment en exil aux Etats Unis ou il poursuit son action militante. Il a passé 50 ans, les temps sont durs. Ressent il déjà les premières atteintes de la paralysie qui allait le réduire définitivement à la misère dans laquelle est plongé son personnage ?

Jean Misère (1873)



Ouvrier, la faim te tord les entrailles

Et te fait le regard creux,

Toi qui, sans repos ni trêve, travailles

Pour le ventre des heureux.

Ta femme s’échine, et tes enfants maigres

Sont des vieillards à douze ans ;

Ton sort est plus dur que celui des nègres

Sous les fouets abrutissants.


Refrain :

Nègre de l’usine,

Forçat de la mine,

Ilote du champ,

Lève-toi peuple puissant ;

Ouvrier, prends la machine !

Prends la terre, paysan !

Ouvrier, prends la machine !

Prends la terre, paysan !


Paysan, le sol que ton bras laboure

Rend son fruit dans sa saison,

Et c’est l’opulent bourgeois qui savoure

Le plus clair de ta moisson.

Toi, du jour de l’an à la Saint Sylvestre,

Tu peines pour engraisser

La classe qui tient sous son lourd séquestre

Ton cerveau fait pour penser.


Le terme nègre n’a pas à cette époque en français la connotation raciste qu’il a déjà en anglais. Les ilotes étaient les esclaves dans la Rome Antique.

La popularité de cette chanson est attestée par le nombre de titres différents. Il s’agit de l’une des rares chansons révolutionnaires de l’époque à ne pas faire référence à la Commune. Elle ne parle d’ailleurs pas de la nécessité de la lutte armée, mais reprend les thèmes des chansons antérieures à 1970, insistant sur la dureté du travail, la force, le courage et l’honneur des ouvriers auxquels elle associe les paysans et les marins. Elle marque une conscience plus universaliste que les chansons de la période précédente et se termine sur l’idée que l’aspiration à la liberté est une composante essentielle de l’être humain, qui ne se réalise donc pleinement que par la lutte pour la conquérir. On retrouve cette idée dans plusieurs chansons ultérieures. La chanson appelle à la prise de contrôle de l'outil de travail par les travailleurs, objectif poursuivi tant par les marxistes que les anarchistes. Le texte ne mentionne pas les femmes, mais bon nombre des travaux énumérés dans le quatrième couplet sont largement féminins.

L e droit du travail (1874)

Egalement nommée : Ouvrier prends la machine – La Jurassienne – L’Alsacienne

Qui forge l’outil ? Qui taille la pierre ?

Qui file et tisse le lin ?

Qui pétrit le pain ? Qui brasse la bière ?

Qui presse l’huile et le vin ?

Et qui donc dispose, abuse et trafique

De l’œuvre et du créateur ?

Et qui donc se fait un sort magnifique

Aux dépens du producteur ?


Qu’on donne le sol à qui le cultive,

Le navire au matelot,

Au mécanicien la locomotive,

Au fondeur le cubilot,

Et chacun aura ses franches coudées.

Son droit et sa liberté,

Son lot de savoir, sa part aux idées,

Sa complète humanité !


Mineur, qui descends dès l’aube sous terre,

Et dont les jours sont des nuits,

Qui, le fer en main, dans l’air délétère,

Rampes au fond de ton puits,

Les riches trésors que ton pic arrache

Aux flancs des rocs tourmentés

Vont bercer là-haut l’oisif et le lâche

Dans toutes les voluptés.


Les révoltés du Moyen-Âge
L’ont arboré sur maints beffrois.
Emblème éclatant du courage,
Toujours il fit pâlir les rois.

Refrain
Le voilà !, Le voilà ! Regardez !
Il flotte et fièrement il bouge,
Ses longs plis au combat préparés,
Osez, osez le défier !
Notre superbe drapeau rouge !
Rouge du sang de l’ouvrier ! (bis)

Il apparut dans le désordre
Parmi les cadavres épars,
Contre nous, le parti de l'Ordre
Le brandissait au Champ de Mars

Puis planté sur les barricades,
Par le peuple de février
Il devint pour les camarades,
Le drapeau du peuple ouvrier.

Quand la deuxième République
Condamna ses fils à la faim,
Il fut de la lutte tragique,
Le drapeau rouge de juin !

L’auteur fait remonter le drapeau rouge aux révoltes urbaines du Moyen-Age. Historiquement, il s’agit d’une affirmation sans fondement. En revanche, l’emblème est utilisé dès 1768 à Londres, lors d’une grève des marins qui avaient hissé des pavillons rouges sur leurs bateaux. En 1797, il est de nouveau mentionné lors d’une grande mutinerie dans la Royal Navy.

En 1791, il est arboré par la répression gouvernementale. C'est une sommation signifiant : "nous allons vous tirer dessus". Le second couplet fait référence à cet épisode de la révolution française. Le lendemain de la fusillade du Champ de Mars, il est arboré par les émeutiers pour signifier : tirez si vous l’osez, vous ne nous faites pas peur.

En 1831, deux drapeaux rouges (teints dans du sang de veau) sont arborés lors d’une révolte ouvrière dans le Pays de Galles, mais comme le précise le troisième couplet, c'est en 1848 qu'il s'impose définitivement, le mouvement ouvrier ne pouvant plus se reconnaître dans le drapeau tricolore de la république bourgeoise. L'influence de la France sur l’Internationale Ouvrière, conduit cette dernière à l'adopter, comme mentionné dans les couplets finaux.

Le couplet sur les marins russe est postérieur, il évoque le cuirassé Potemkine en 1905.

Les chansons sur le thème du drapeau rouge existent dans de nombreuses langues. L'air est tiré d'une marche régionale Suisse. Le Jura Suisse est en effet un lieu refuge pour les internationalistes antiautoritaires et le mouvement y est particulièrement implanté.

La chanson est une chanson de propagande visant à renforcer des symboles et à diffuser une culture de la lutte ouvrière révolutionnaire. Louise Michel popularisera plus tard le drapeau noir et déclarera au tribunal : "il signifie que notre manifestation était pacifique. Notre drapeau rouge est cloué au mur du Père Lachaise, lorsque nous l'arborerons, soyez sûr que nous saurons nous défendre."

Sous la Commune il flotte encore
À la tête des bataillons
Et chaque barricade arbore
Ses longs plis taillés en haillons !

Noble étendard du prolétaire,
Des opprimés sois l’éclaireur.
À tous les peuples de la terre
Porte la paix et le bonheur !

Les braves marins de Russie,
Contre le tsarisme en fureur,
Ont fait flotter jusqu’en Asie
Notre drapeau libérateur !

Un jour sa flamme triomphale
Luira sur un monde meilleur,
Déjà l’Internationale
Acclame sa rouge couleur !.

L e drapeau rouge (1877)

Illustration de la feuille volante

L’insurgé, son vrai nom, c’est l’Homme,
Qui n’est plus la bête de somme
Qui n’obéit qu’à la raison
Et qui marche avec confiance
Car le soleil de la science
Se lève rouge à l’horizon.

Refrain
Devant toi, misère sauvage,
Devant toi, pesant esclavage,
L’insurgé se dresse
Le fusil chargé.


On peut le voir en barricades
Descendr’ avec les camarades,
Riant, blaguant, risquant sa peau.

Et sa prunelle décidée
S’allum’ aux splendeurs de l’idée,
Aux reflets pourprés du drapeau.

Il comprend notre mèr’ aimante,
La planète qui se lamente
Sous le joug individuel.
Il veut organiser le monde
Pour que de sa mamell’ ronde
Coul’ un bien-être universel.

En combattant pour la Commune,
Il savait que la terre est une,
Qu'on ne doit pas la diviser.
Que la nature est une source
Et le capital une bourse
Où tous ont le droit de puiser.

L’Insurgé (env. 1880)


Il revendique la machine,
Et ne veut plus courber l'échine
Sous la vapeur en action.
Puisque l'exploiteur à main rude
Fait l'instrument de servitude
Un outil de rédemption.


Contre la classe patronale,
Il fait la guerre sociale
Dont on ne verra pas la fin
Tant qu'un
seul pourra, sur la sphère
Devenir sans rien faire
Tant qu'un travailleur aura faim !


A la bourgeoisie écoeurante
Il ne veut plus payer de rente
Combien de milliards tous les ans ?
C'est sur vous, c'est sur votre viande

Qu'on dépèce un tel dividende
Ouvriers, mineurs, paysans.


Pour Pottier le goût de la liberté, est constitutif de l’humanité et la révolte permet à chacun de transcender le statut d’animal auquel certains sont réduits, qui en relevant la tête retrouvent la dignité d’homme. L'on retrouve cette idée dans plusieurs chansons de l'époque. Il mentionne également la camaraderie forgée dans la lutte.

La chanson reprend le thème du partage des richesses, cher au socialisme et prône l’insurrection. La Commune reste le mouvement populaire de référence.

Le progrès scientifique et la raison, qui s’opposent à l’obscurantisme religieux et au conservatisme des valeurs constituent un autre thème nouveau dans les chansons révolutionnaires. Le couplet sur la terre qui se lamente du fait de l’exploitation individualiste préfigure l’écologisme anti-capitaliste. Pour Pottier, comme pour Louise Michel dont il ne partage pas toutes les idées, toutes les causes sont liées.

Il est fait appel à la raison et à la science. A cette époque bon nombre d'internationalistes sont des scientifiques reconnus (les frères Elie et Elysée Reclus, Kropotkine...). L'on est persuadé que les progrès scientifiques vont de pair avec ceux de la raison qui démontrera qu'une autre société est nécessaire.

Illustration de la feuille volante



Les canons du sud ou du nord
De l'est ou de l'ouest assourdissent
Ces noirs travailleurs de la mort
Contre la liberté s'unissent
Chef d'oeuvre de l'art qui détruit
Chers aux despotes qui commandent

Refrain :
Canons qui faites autant de bruit
Taisez vos gueules que l'on s'entende !

Celui qui vous pointe et celui
Qui vous sert de cible à distance
Sont deux peuples fiers aujourd'hui
D'être ennemi, quelle démence !
L'arme au pied le soldat se dit
" Mais la guerre qui la demande ?"

La guerre est la distraction
Des princes que l'on subit encore
Chacun dit "Je suis lion"
Son peuple est l'agneau qu'il dévore
L'esclave chaque jour s'instruit
C'est ce que le maître appréhende

On vous doit de dignes exploits
Par vous la Bastille est rasée
Et plus tard la ligue des rois
Vers la frontière est repoussée
Mais un César hélas a surgit
Des courtisans revient la bande

La fumée empêche de voir
Où va tomber l'engin qui tue
Vous obéissez au pouvoir
Qu'il soit au trône ou dans la rue
Le droit au silence est réduit
L'idée en est elle moins grande ?

Vous êtes l'instrument brutal
Inouï dans la voix du tonnerre
Instrument comme lui fatal
Qui tend à dépeupler la terre
Qu'on vous encloue ! Et que la nuit
Sur tous vos désastres s'étende

Qu'on vous fonde, vous change enfin
En une pyramide immense
Qu'on élise sous le burin
Universelle indépendance
Vers l'appel, le monde est conduit
Bien qu'au sceptre encore on prétende

Les canons (vers 1880)

Cette chanson pacifiste insiste sur la folie de la guerre, qui amène les nations à se haïr et à s'entretuer uniquement parce que les dirigeants et leurs courtisans l'ont décidé pour leur prestige. Le canon tire à l'aveugle sur le peuple. Ce sont les petits qui font et qui souffrent de la guerre. La révolte contre les despotes est d'ailleurs la seule raison à peu près valable de faire la guerre, comme mentionné dans le quatrième couplet, qui exalte la révolution française. On retrouve l'idée du progrès social et philosophique assez courante à l'époque : la raison et à l'instruction mèneront inéluctablement à la révolte des peuples et leur union contre la violence des puissants.

Les canons de Montmartre durant la Commune

On l’a tuée à coups de Chassepot
A coups de mitrailleuse
Et roulée avec son drapeau
Dans la terre argileuse
Et la tourbe des bourreaux gras
Se croyait la plus forte

Refrain
Tout ça n’empêche pas, Nicolas,
Qu’ la Commune n’est pas morte!


Comme faucheurs rasant un pré
Comme on abat des pommes
Les Versaillais ont massacré
Pour le moins cent mille hommes
Et les cent mille assassinats
Voyez ce que ça rapporte

On a bien fusillé Varlin,
Flourens, Duval, Millière,
Ferré, Rigault, Tony Moilin,
Gavé le cimetière.
On croyait lui couper les bras
Et lui vider l’aorte

Ils ont fait acte de bandits
Comptant sur le silence
Achevé les blessés dans leur lit
Dans leur lit d’ambulance
Et le sang inondant les draps
Ruisselait sous la porte

En 1880, les communards sont amnistiés. Déportés et exilés rentrent en France. Ils reprennent leurs activités militantes et fondent en 1882 un groupe « possibiliste », puis en 1883 le parti ouvrier socialiste révolutionnaire, puis en 1888 un groupe d’entraide sociale auquel adhérent des socialistes de toutes tendances. L’air est celui d’une autre chanson : « t’en fais pas Nicolas »

La terre argileuse, la tourbe des bourreaux gras sont des références aux fosses communes de la semaine sanglante. Le chassepot est le fusil de l'armée française.

Varlin était un internationaliste, syndicaliste, délégué de la commune. Arrêté, il est torturé, tabassé et mutilé par les soldats et la foule. Devant le peloton d’exécution, un œil pendant de son orbite, il crie « vive la Commune »

Flourens, universitaire et militaire, commande la désastreuse sortie du 3 avril. Tué d’un coup de sabre alors qu’il est désarmé. Il est le premier mort parmi les délégués.

Duval se rend le même 3 avril avec promesse de la vie sauve pour lui et ses hommes, il est fusillé le lendemain sans jugement.

Millière, député de gauche est le seul parlementaire à rester dans Paris durant la Commune, sans cependant prendre part aux événements. Il est pourtant fusillé comme traitre, forcé de s'agenouiller "pour demander pardon". Il meurt en criant « vive la République, vive l’Humanité ».

Ferré est un militant blanquiste. Délégué de la Commune, il vote l’exécution des otages. Il est condamné à mort en septembre et fusillé.

Rigault est un internationaliste dont les déclarations très virulentes lui valent une haine terrible de la part des Versaillais. Durant la semaine sanglante, il répond au sergent qui l’arrête : « Que me voulez-vous ? Vive la Commune ». Il est fusillé sans jugement.

Moilin prend part à la Commune en tant que chirurgien militaire. Dénoncé et arrêté le 27 mai, il est condamné le jour même par une cour martiale.

Maxime Du Camp, écrivain et journaliste publie une histoire de la commune orientée contre les communards, sous le titre « les convulsions de Paris ».

Alexandre Dumas fils écrit entre-autres à propos des communard(e)s: « Nous ne dirons rien de leurs femelles par respect pour toutes les femmes à qui elles ressemblent quand elles sont mortes. »

« Marianne a la peau brune », signifie qu’elle est une femme du peuple, qui travaille à l’extérieur.

Les funérailles sont d’excellentes occasions de contourner l’interdiction des manifestations internationalistes. Valles, un des plus importants leaders communards, directeur du journal "le cri du peuple", a pu rentrer en France après l’amnistie. Il meurt en 1885 ; cent mille personnes assistent à son enterrement. Des échauffourées éclatent avec les royalistes.

La chanson appelle à poursuivre une révolte qu'aucune répression ne pourra éteindre et rappelle à la bourgeoisie que la menace est toujours présente.

Les journalistes policiers
Marchands de calomnies
Ont répandu sur nos charniers
Leurs flots d’ignominie
Les Maxime Ducamp, les Dumas
Ont vomi leur eau-forte

C’est la hache de Damoclès
Qui plane sur leurs têtes
A l’enterrement de Vallès
Ils en étaient tout bêtes
Fait est qu’on était un fier tas
A lui servir d’escorte

Refrain
C’qui prouve en tous cas, Nicolas,
Qu’ la Commune n’est pas morte!


Bref, tout ça prouve au combattant
Qu’ Marianne a la peau brune
Du chien dans l’ventre et qu’il est temps
D’crier "Vive la Commune!"
Et ça prouve à tous les Judas
Qu’ si ça marche de la sorte

Refrain
Ils sentiront dans peu, nom de Dieu,
Qu’la Commune n’est pas morte!

Elle n’est pas morte (1886)




Pâle ou vermeille, brune ou blonde,
Bébé mignon,
Dans les larmes ça vient au monde :
Chair à guignon !
Ébouriffé, suçant son pouce,
Jamais lavé,

Comme un vrai champignon ça pousse :
Chair à pavé !

A quinze ans, ça rentre à l'usine,
Sans éventail,
Du matin au soir ça turbine :
Chair à travail !
Fleur des fortifs, ça s'étiole,
Quand c'est girond,
Dans un guet-apens, ça se viole :
Chair à patron !

Jusque dans la moelle pourrie,
Rien sous la dent,
Alors, ça rentre "en brasserie" :
Chair à client !
Ça tombe encore,de chute en chute,
Honteuse, un soir,
Pour un franc, ça fait la culbute :
Chair à trottoir !

Les fortifs sont les fortifications de Paris, progressivement détruites à partir des années 1880, autour desquelles s’étendent les quartiers ouvriers.

Les brasseries sont des lieux de prostitution.

Roussin : policier dans l’argot de l’époque.

Héliogabale est un personnage de l’antiquité romaine. Il représente ici, le cynisme et l’absence de principes moraux de la classe dominante.

Macquart est le nom d’un établissement d’équarrissage pour les chevaux.

Le mal lent dont souffre le personnage est la syphilis, qui fait des ravages.

Très peu de chansons du temps évoquent spécifiquement la condition féminine.

Dans les chansons réalistes très en vogue à l'époque, les personnages, souvent misérables sont généralement nommés, ce qui n'est pas le cas ici. L'héroïne n'est qu'un morceau de viande. L’identification des pauvres à de la viande n'est pas un thème nouveau, mais Jouy en fait l’élément central de sa chanson, ce qui la rend particulièrement cruelle.

La jeune femme dégringole les échelons de la prostitution qui était une véritable institution dans le Paris de l'époque. La "ville lumière" était considérée comme le "bordel de l'Europe" et l'on venait y faire du tourisme sexuel. Il y avait des catégories de prostituées pour toutes les bourses, si j'ose dire. Certaines, courtisanes entretenues par de riches bourgeois se faisaient offrir des hôtels particuliers et de nombreuses jeunes filles de condition ouvrière se laissaient tenter par des promesses de vie meilleure, mais dans la chanson, si les conditions de vie de l'enfant créent le terreau de la déchéance c'est bien le viol patronal qui la précipite.

Rarement la déchéance physique et morale entraînée par la misère ouvrière du 19eme siècle, n’est décrite avec autant de brutalité. On retrouve au dernier couplet le désir de vengeance, la haine des bourgeois dont les cadavres sont laissés aux chiens.

Ça vieilli, et plus bas ça glisse...
Un beau matin,
Ça va s'inscrire à la police :
Chair à roussin !
Ou bien, "sans carte", ça travaille
Dans sa maison,
Alors, ça se fout sur la paille :
Chair à prison !

D'un mal lent souffrant le supplice,
Vieux et tremblant,

Ça va geindre dans un hospice :
Chair à savant !
Enfin, ayant vidé la coupe.
Bu tout le fiel,
Quand c'est crevé, ça se découpe :
Chair à scalpel !

Patrons! Tas d'Héliogabales,
D'effroi saisis
Quand vous tomberez sous nos balles :
Chair à fusils !
Pour que chaque chien sur vos trognes
Pisse, à l'écart,
Nous les laisserons vos charognes :
Chair à Macquart !

Fille d’ouvriers (1887)

Ornant largement la muraille,
Vingt drapeaux rouges assemblés
Cachent les trous de la mitraille
Dont les vaincus furent criblés.


Bien plus belle que la sculpture
Des tombes que bâtit l'orgueil,
L'herbe couvre la sépulture
Des morts enterrés sans cercueil.

Ce gazon, que le soleil dore,
Quand mai sort des bois réveillés,
Ce mur que l'histoire décore,
Qui saigne encore,
C'est le tombeau des fusillés. (bis)

Autour de ce tombeau sans bronze,

Le prolétaire, au nez des lois,
Des héros de soixante-et-onze
Ecoute chanter les exploits.


Est-ce la tempête ou la houle
Montant à l'assaut d'un écueil ?
C'est la grande voix de la foule
Consolant les morts sans cercueil ;

La chanson rend hommage aux 147 fusillés au Père-Lachaise le 28 mai 1871. Le massacre y est commémoré tous les ans par les Internationalistes. L’on chante. Ces rassemblements sont des occasions de manifestations, parfois interrompues par les forces de l’ordre.

Les pierres du mur des fédérés portent la trace des impacts de balles. Il est le monument à ces morts enterrés anonymement dans des fosses communes (tandis que l’on édifie la basilique Montmartre en hommage aux prêtres martyrs).

Mais les combattants communards menacent de renaître à la vie à travers leurs enfants.

Les inégalités sociales perdurent au-delà de la mort et il en ira de même pour la lutte. Quinze ans après les événements, l’auteur crie vengeance.

Le mur des fusiliers reste de nos jours un lieu de mémoire.


Ecoute, bon bourgeois qui tremble :
Pleurant ceux qu'on croit oublier,
Le peuple, tout entier s'assemble
Et vient ensemble
Près du tombeau des fusillés. (bis)

Loups de la Semaine Sanglante,
Sachez-le, l'agneau se souvient.
Du peuple, la justice est lente,
Elle est lente, mais elle vient !

Le fils fera comme le père ;
La vengeance vous guette au seuil ;
Craignez de voir sortir de terre
Les morts enterrés sans cercueil !

Tremblez ! Les lions qu'on courrouce
Mordent quand ils sont réveillés !
Fleur rouge éclose dans la mousse,
L'avenir pousse
Sur le tombeau des fusillés ! (bis)

Le tombeau des fusillés (1887)

Une version modernisée

Le mur des fusillés au Père Lachaise


Quando l’anarchia verrà

Tutto il mondo sarà trasformato

E nei governi sarà

Il ricordo d’infame passato


L’aborrito confin sparirà

Così pure preti e soldati

E nel mondo sol resterà

L’ideale in cui siamo animati


E allor

Nel cuor

Pensando all’avvenire

Cesserà

Lo strazio ed il soffrire (X2)

Il s’agit de la chanson favorite des anarchistes italiens. On est bien loin de la propagande par le fait. C’est l’anarchie du rêve des jours heureux. La référence à l’avortement est nouvelle dans les chansons. La question du contrôle des naissances par les femmes elles-mêmes prend de plus en plus d’importance dans les textes à venir. L’avortement est légalisé en France en 1974, soit près de cent ans après cette chanson.


Quand l’anarchie viendra

Le monde entier sera transformé

Les gouvernements ne s’ront plus

Que souvenir d’infâme passé


L’avortement secret disparaîtra

Comme les prêtres et les soldats

Seul dans le monde restera

L’idéal qui nous anime


Et alors

Dans nos cœurs

En pensant à l’avenir

Cesseront

Le chagrin et la souffrance (X2)

Quando l'anarchia verrà (1900 ?)

Deux trimardeurs (dessin de Ferrini)


Nous sommes les persécutés
De tous les temps et de toutes les races
Toujours nous fumes exploités
Par les tyrans et les rapaces
Mais nous ne voulons plus fléchir
Sous le joug qui courba nos pères
Car nous voulons nous affranchir
De ceux qui causent nos misères

Refrain
Église, Parlement,
Capitalisme, État, Magistrature
Patrons et Gouvernants,
Libérons-nous de cette pourriture
Pressant est notre appel,
Donnons l'assaut au monde autoritaire
Et d'un cœur fraternel
Nous réaliserons l'idéal libertaire

Ouvrier ou bien paysan
Travailleur de la terre ou de l'usine
Nous sommes dès nos jeunes ans
Réduits aux labeurs qui nous minent
D'un bout du monde à l'autre bout
C'est nous qui créons l'abondance
C'est nous tous qui produisons tout
Et nous vivons dans l'indigence

La chanson condense l’ensemble des reproches faits au système par les internationalistes : collusion entre les pouvoirs religieux, politiques, juridiques et économiques pour exploiter le peuple et maintenir par tous les moyens l’ordre établi, à savoir des inégalités criantes en termes de liberté et d’égalité. La mitrailleuse, qui fusille femmes et enfants fait référence à la semaine sanglante qui a eu lieu sept ans auparavant. Sébastien Faure consacre deux couplets à la répression, le dernier à la guerre, à laquelle le peuple est sensé aller se faire tuer pour le compte des puissants.

L'État nous écrase d'impôts
Il faut payer ses juges, sa flicaille
Et si nous protestons trop haut
Au nom de l'ordre on nous mitraille
Les maîtres ont changé cent fois
C'est le jeu de la politique
Quels que soient ceux qui font les lois
C'est bien toujours la même clique

L'engrenage encor va nous tordre :
Le capital est triomphant ;
La mitrailleuse fait de l'ordre
En hachant la femme et l'enfant.
L'Usure folle en ses colères
Sur nos cadavres calcinés
Soude à la grève des Salaires
La grève des assassinés.

Pour défendre les intérêts
Des flibustiers de la grande industrie
On nous ordonne d'être prêts
À mourir pour notre patrie
Nous ne possédons rien de rien
Nous avons horreur de la guerre
Voleurs, défendez votre bien
Ce n'est pas à nous de le faire

Version punk

Grève des mineurs dans le pas de Calais - 1906

La Révolte (1886)


Louise, c'est l'impersonnelle
Image du renoncement.
Le «moi» n'existe plus en elle ;
Son être est tout au dévouement.
Pour ce cœur vaste et secourable,
Ivre de solidarité,
Le seul air qui soit respirable,
C'est l'amour de l'Humanité.

On la condamne: elle défie
Son juge, féroce et pourri.
Qu'importe, à qui se sacrifie
Le poteau noir de Satory?
A ses bourreaux, près de la tombe,
Elle parle fraternité.
Que lui fait la mort ? Elle tombe,
Pour l'amour de l'Humanité.

On la déporte: Elle ne souffre
Que pour ceux, près d'elle blottis :
Combien doit pleurer, dans ce gouffre,

Le père, éloigné des petits !
Captive auguste, elle ne pense,
Qu'aux frères en captivité.
Leurs blessures, elle les panse,
Pour l'amour de l'Humanité.


On l'amnistie : elle se lève
Et revient, le front calme et doux.
Grave et lente, sa voix s'élève
Et son cœur parle parmi nous.
De son repos faisant litière,
Bravant le pouvoir irrité,
Elle se donne tout entière,
Pour l'amour de l'Humanité.

La chanson est dédiée à Louise Michel, qui reste jusqu’à la fin de sa vie une infatigable militante socialiste (et féministe, quoiqu’elle s’en défende).

Elle raconte quelques épisodes de sa vie. Louise Michel est élevée dans le culte des martyrs par une mère très pieuse, servante au château, mais a accès à la culture, car élevée par son châtelain de grand-père. Elle est une bâtarde et n’hérite de rien.

Elle travaille comme institutrice, ouvre des écoles pour les enfants de pauvres et fréquente les cercles socialistes.

Elle prend une part active aux combats de la commune puis défie le tribunal militaire lors de son procès. Elle devient la Louve avide de sang pour les uns et la Vierge Rouge pour les autres.

Lors de sa déportation, elle est l’une des rares communardes à prendre le parti des Canaques. Lorsque le gouvernement amnistie les femmes en 1878, elle refuse de rentrer tant que les hommes ne seraient pas graciés eux-aussi.

A son retour du bagne en 1880, des milliers de Parisiens et Parisiennes l’attendent sur le quai de la gare. Elle écrit différentes sortes de textes et fait des conférences partout en France. Son activisme lui vaut plusieurs séjours en prison. On l’enferme avec les pires criminelles, mais elle retourne les détenues contre les autorités qui finissent par enfermer la révolutionnaire à l’isolement, elle casse tout dans sa cellule.

En 1888, au cours d’une conférence, la « petite sœur des pauvres » reçoit une balle dans la tête (Aubertin est un fou qui a tiré sur Jules Ferry, alors ministre). Elle fera tout ce qu’elle pourra pour faire libérer son agresseur et lui pardonnera. Reconnaissant, ce dernier déclarera sur son lit de mort : « surtout, que les anarchistes veillent sur ma fille ».

Elle mourra en 1905 et plus de 100.000 personnes assisteront à l'enterrement. de la Vierge Rouge. Haïe et conspuée par les conservateurs avant d’être récupérée par la gauche bourgeoise, elle reste dans les mémoires comme « la révolutionnaire impeccable ».

Pour des raisons de remise en cause globale des conventions sociales, de nombreuses féministes de l’époque étaient anarchistes. L’on songe particulièrement aux Américaines Voltairine de Clayre, Emma Goldman et Lucy Parson, cette dernière publiant également des articles dans la presse libertaire française.


On l'emprisonne : Comme au bagne,
Elle règne par la douceur,
La proxénète est sa compagne ;
La prostituée est sa sœur ;
De la voleuse elle est complice ;
Aux froides sœurs de charité
Elle parle de la Justice,
Pour l'amour de l'Humanité.

Une brute, sur elle tire
(Bien mieux qu'Aubertin sur Ferry)
Mais, loin de poser au martyre,
Elle s'arrête, puis sourit:
«C'est à moi ! Qu'on me l'abandonne ! »

Dit-elle, «qu'il soit acquitté !
Il s'est trompé ; je lui pardonne,
Pour l'amour de l'Humanité.»

Plus d'un la traite, en vrai Jocrisse,
D'«hystérique», journellement.
Crétins ! folle de sacrifice !
Hystérique de dévouement !
Écrivains aux longues-oreilles,
Jadis, Plutarque eût souhaité
Beaucoup d'héroïnes pareilles,
Pour l'honneur de l'Humanité !

Louise Michel

Louise Michel (1888)

J’ai soupé d’leur politique ;

Les politiciens

Nous font une république

Bonne à foutre aux chiens.

Peuple, n’sois donc plus si flemme,

Au lien d’êtr’ votard,

Faut fair’ tes affair’s toi même :

Te dit l’pèr’ Peinard. (bis)

Pendant qu’ton patron se gave,

Toi, t’as l’ventre creux ;

Tu rest’s toujours son esclave ;

Il t’appelle gueux.

À turbiner tu t’esquintes,

T’es toujours déchard ;

Le riche se fout d’tes plaintes :

Te dit l’pèr’ Peinard. (bis)

Le comble de l’ironie,

Quand tu crèv’s de faim :

C’est d’entendr’ la Bourgeoisie

T’app’ler Souverain.

Celui qui veut ton suffrage

T’prend pour un jobard,

Fouts-lui ton poing su’l’visage :

Te dit l’pèr’ Peinard. (bis)

Le député que tu nommes

Pour te fair’ des lois,

S’rait-il le meilleur des hommes,

Il n’en vaut pas trois ;

Nuit et jour il fait ripaille,

Et se fait du lard ;

Envoi’ fair’ foutr’ cett’ val’taille :

Te dit l’pèr’ Peinard. (bis)

Voter, c’est s’donner un maître

Pour le décorum,

Qui, bientôt deviendra traître,

Dans l’Aquarium.

C’est kif-kif pour un’ brav’ fille,

Dans un lupanar ;

Ell’ sera bientôt pourrie :

Te dit l’pèr’ Peinard. (bis)

Un copain passant contr’ maître

Sera plus salop ;

Un soldat parle en grand maître,

Quand il est cabot ;

À l’usine ou la caserne,

On d’vient plus rossard,

Du moment que l’on gouverne :

Te dit l’pèr’ Peinard. (bis)

Si tu cessais de produire

Et d’payer l’impôt,

Il crèverait ce vampire.

D’bourgeois salopiot !

Prends la terre et la machine

Des mains du richard ;

Produits, pour toi, dans l’usine :

Te dit l’pèr’ Peinard. (bis)

Si quelqu’un te caus’ patrie

D’un ton convaincu,

Devant c’tte cafarderie,

Fouts-lui l’pied dans l’cul !

Mais n’attends pas qu’on te perde,

En t’faisant soudard,

Fouts-les plutôt dans la merde :

Te dit l’pèr’ Peinard. (bis)

Ah ! nom de dieu ! faut qu’ça change,

Assez d’perroquets !

Y’ faut sortir de c’tte fange,

Ouvrons les quinquets !

Gouvernant, patron, jésuite,

Tout ça sent l’mouchard ;

Faut leur foutr’ d’la dynamite !

Te dit l’pèr’ Peinard. (bis)

Un déchard (celui qui est dans la dèche) est un miséreux. Un cabot est un caporal. Les quinquets sont les oreilles.

Le Père Peinard au populo est un journal anarchiste fondé en 1889 par Emile Pouget (lui même auteur de chansons, voir entrée "auteurs") Il paraitra jusqu'en 1899. La chanson fait référence à cette publication mais n'a pas été publiée dans ce cadre. Elle dénonce, comme le journal du même nom le système soi-disant démocratique de la république parlementaire : quels que soient les dirigeants politiques, ils sont les valets (la "valetaille") de la bourgeoisie, se moquent du peuple et vivent dans l'opulence. La souveraineté du peuple est un concept creux. Voter ne sert à rien, car le pouvoir corrompt (dès lors que l'ouvrier monte en grade, il collabore avec les puissants). Seul un changement radical est possible. L'auteur appelle donc à la désobéissance civile, au refus de payer l'impôt, à la révolution.

Le Père Peinard au populo (1889)

Dessin publié dans le Père Peinard

Y en a qui font la mauvais' tête
Au régiment,
Ils tir' au cul, ils font la bête
Inutil'ment
Quand i's veulent pus fair' l'exercice
Et tout l' fourbi
On les envoi' fair' leur service
A Biribi.

A Biribi, c'est en Afrique
Où qu'le pus fort
Est obligé d'poser sa chique
Et d'fair' le mort;
Où que l'pus malin désespère
De fair' chibi,
Car on peut jamais s'faire la paire,
A Biribi.

A Biribi, c'est là qu'on marche,
Faut pas flancher
Quand le chaouch crie : "En avant ! marche !"
I' faut marcher,
Et quand on veut fair' des épates,
C'est peau d'zebi :
On vous fout les fers aux quat' pattes
A Biribi.


.

À Biribi (1891)

Le gourbi désigne une habitation sommaire (origine arabe) – Chaouch : en arabe dialectal d’Afrique du Nord, gardien, surveillant – Faire des épates c’est faire le malin - Faire la bête : faire croire - Faire Chibi, se faire la paire : s'évader -

La Nouvelle désigne probablement la prison parisienne Mazas, dite aussi « la Nouvelle Force ».

En argot, les biribis sont les bagnes militaires d’Afrique du Nord. L'on y envoie des déserteurs, des fortes têtes qui refusent l'obéissance, militaires de carrière ou des conscrits. Les conditions de travail et de détention y sont inhumaines, avec viols systématiques ("Mam’zelle Bibi") et tortures. En 1924, le célèbre journaliste Albert Londres publiera un reportage sur les Biribis en racontant par le menu les atrocités dont sont victimes les déportés. Ses articles émeuvent suffisamment l’opinion pour que le gouvernement déclenche une enquête qui aboutit à la fermeture de ces établissements pénitentiaires. La chanson de Bruant évoque pourtant les conditions de détention trente trois ans plus tôt et le sujet est abordé dans d’autres chansons de l’époque sans que l'on s'en émeuve.

A Biribi, c'est là qu'on crève
De soif et d'faim
C'est là qu'i faut marner sans treve
Jusqu'à la fin !...
Le soir, on pense à la famille,
Sous le gourbi...
On pleure encor' quand on roupille,
A Biribi.

A Biribi, c'est là qu'on râle
On râle en rut,
La nuit on entend hurler l'mâle
Qui qu’aurait cru
Qu'un jour i' s'rait forcé d' connaître
Mam'zelle Bibi,
Car tôt ou tard il faut en être,
A Biribi.

On est sauvag', lâche et féroce,
Quand on en r'vient...
Si par hasard on fait un gosse,
On se souvient...
On aim'rait mieux, quand on s'rappelle
C'qu'on a subi,
Voir son enfant à la Nouvelle

Qu'à Biribi.

J’fais partie’ d’un group’ d’anarchistes
Qui a comm’ spécialité d’fair’ les déménag’ments
Pour v’nir en aide aux communistes
Qui s’trouv’nt embêtés pour payer leur logement,
Nous somm’s enn’mis de tout propriétaire,
Mais, par contre, nous somm’s amis du prolétaire :
Voilà pourquoi, parmi les anarchos,
On nous a surnommes la Ligu’ des antiproprios.

Ohé, les zigs ! À bas les flics !

Refrain

Un », deux, trois, Marquons l’pas,
Les chevaliers d’la cloch’ de bois.
Un », deux, trois, Marquons l’pas,
C’est la terreur des bourgeois !
Serrons les rangs, Et portons crânement
Le gai drapeau des antiproprios !} (2x)

Qu’un copain s’trouv’ dans la panade
Très emmerdé par les records et le vautour,
Vite il prévient les camarades
Qui n’s’font pas prier pour lui prêter leur concours :
Et, tous en chœur, on radine à sa piôle,
Sans avoir besoin d’ chef pour distribuer les rôles ;
L’un derrière l’autre, on voit les anarchos
Descendre l’escalier avec les meubles sur leur dos.

Devant l’ pipelet ! Tous au complet…

Refrain

Nous avons tous l’humeur guill’rette
Nous ne ratons jamais l’occas’ de rigoler,
Surtout lorsque madam’ Pip’lette
À l’air d’vouloir nous empêcher d’déménager.
Sans la brusquer, on lui dit : La p’tit’ mère,
Ça n’servirait à rien de vous foutre en colère,
Écoutez-nous et rentrez vit’ chez vous,
Et restez bien tranquill’ si vous n’voulez r’cevoir des coups !


Puis sans façons, nous la bouclons…

Refrain

La question de l’accès au logement est depuis toujours un enjeu des luttes de classe. En 1890, peu de temps avant la parution de cette chanson, un mouvement de grève des loyers a été déclenché à Paris. L'encadrement des loyers était d'ailleurs l'une des mesures prises par la Commune de Paris

La chanson fait référence à la Ligue des Antipropriétaires, organisation spécialisée dans l’organisation des déménagements à la cloche de bois des locataires qui ne peuvent plus payer leur loyer. Il s’agit d’enlever au plus vite tous les meubles de l’appartement avant que la police n’arrive, quelques jours avant le terme. Le pipelet (le concierge) est considéré comme un agent des propriétaires et un mouchard.

La chanson insiste sur l’efficacité des anarchistes, sans qu’une hiérarchie soit nécessaire.

Quand viendra la grève générale
Et qu’ils s’ront las de crever de faim, les ouvriers,
Ce jour-là nous f’rons la Sociale,
Au grand chambard nous ne serons pas les derniers.
On nous verra au cri de « Vive l’Anarchie ! »
Écraser d’un poing fort l’ignoble bourgeoisie
Et, supprimant patrons et gouvernants,

Nous venger en un jour de nos misères de mille ans.

Du compagnon dans la panade
Nous allons arracher les meubles au vautour
Car pour nous c’est un’ rigolade
D’ montrer au proprios comment on leur jou’l tour !
C’est à l’action qu’on connaît l’anarchiste.
Aussi faut voir comment, tranquille autant qu’Raptiste
En un clin d’œil on enlève le bazar
Bien avant que l’vautour ai eu l’temps de fa’r du pétard !


Devant l’pipelet… au complet…


Refrain

Logement ouvrier au XIXe siècle

Le chant des antiproprios (1893)

Anonyme


Copain, regarde les rues:
Les flicards et les roussins
Montrent leurs gueules bourrues
De brutes et d'assassins...
Racaille!
Par ça serai-je abîmé?
Un Premier Mai sans flicaille
Ce n'est pas un Premier Mai!‎

Copain, vois, malgré la rousse,
Les bourgeois gras et pansus,
Les richards ont eu la frousse
Des qu'ils nous ont aperçus...
Vipères!
Tremblez devant l'opprimé!
Un Premier Mai sans colères,
Ce n'est pas un Premier Mai! ‎



Copain, gare à la faconde
Des grands ténors endormeurs:
La haine seule est féconde,
La haine des affameurs.
Récolte!
Bourgeois, ce que tu as semé!
Un Premier Mai sans révolte
Ce n'est pas un Premier Mai! ‎

Copain, pense à la vengeance.
Quand nous serons les plus forts
Nous détruirons cette engeance
Aux pieds de ses coffres-forts!
Charogne!
Quand nous t'aurons supprimé
Nous fêterons sans vergogne,
Bourgeois! Notre Premier Mai!‎

Les roussins sont les policiers.

Le premier mai commémore le massacre de Haymarket square à Chicago, (4 mai 1886) : suite à plusieurs journées de manifestation violemment réprimées, une bombe éclate. Les leaders de la manifestation, anarchistes, sont arrêtés et condamnés à mort, y compris certains qui étaient absents ce jour là. Ils seront réhabilités plus tard. Il est probable que la bombe ait été lancée par la police. L'évènement crée une émotion considérable dans le monde entier.

Le premier mai ne deviendra férié qu'en 1919, cependant des manifestations ont lieu tous les ans dans de nombreux pays du monde dès la fin du XIXe siècle.

En France, le premier mai 1891 a lieu la fusillade de Fourmies : la police tire sur une manifestation pacifique, tue 9 personnes dont deux enfants. Les forces de l'ordre sont mises en cause, mais les leaders syndicaux sont condamnés à des peines de prison. L'évènement entraîne des appels à la vengeance, que l'on retrouve dans cette chanson.

Ce chant est parfois attribué à Charles Gros, suite à une confusion. En effet, ce dernier a écrit une "marche du premier mai" quelques années plus tard.

Premier mai (1893 ?)

Dans la grand’ville de Paris
Dans la grand’ville de Paris
Il y a des bourgeois bien nourris
Il y a des bourgeois bien nourris
Il y a les miséreux
Qui ont le ventre creux :
Ceux-là ont les dents longues,
Vive le son, vive le son,
Ceux-là ont les dents longues,
Vive le son
D’l’explosion !

Refrain

Dansons la Ravachole,
Vive le son, vive le son,
Dansons la Ravachole,
Vive le son
D’l’explosion !
(Ah, ça ira, ça ira, ça ira,
Tous les bourgeois goût’ront d’la bombe,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Tous les bourgeois on les saut’ra...
On les saut’ra !)

Il y a les magistrats vendus,
Il y a les magistrats vendus,
Il y a les financiers ventrus,
Il y a les financiers ventrus,
il y a les argousins.
Mais pour tous ces coquins
Il y a d’la dynamite,
Vive le son, vive le son,
Il y a d’la dynamite,
Vive le son
D’l’explosion !

Refrain




La Ravachole (1894)


Il y a les sénateurs gâteux,
Il y a les sénateurs gâteux,
Il y a les députés véreux,
Il y a les députés véreux,
Il y a les généraux,
Assassins et bourreaux,
Bouchers en uniforme,
Vive le son, vive le son,
Bouchers en uniforme,
Vive le son
D’l’explosion !

Refrain

Il y a les hôtels des richards,
Il y a les hôtels des richards,
Tandis que les pauvres déchards,
Tandis que les pauvres déchards,
À demi morts de froid
Et soufflant dans leurs doigts,
Refilent la comète,
Vive le son, vive le son,
Refilent la comète,
Vive le son
D’l’explosion !

Refrain

Ah, nom de dieu, faut en finir !
Ah, nom de dieu, faut en finir !
Assez longtemps geindre et souffrir !
Assez longtemps geindre et souffrir !
Pas de guerre à moitié !
Plus de lâche pitié !
Mort à la bourgeoisie,
Vive le son, vive le son,
Mort à la bourgeoisie,
Vive le son
D’l’explosion !

Refiler la comète c'est dormir à la belle étoile. Les argousins sont les policiers (le terme est péjoratif)

La chanson est une reprise de la Carmagnole, chant de la révolution française connu pour la violence de ses paroles. Les ennemis du peuple ont changé. La lutte doit se poursuivre, non plus contre la noblesse, mais contre la bourgeoisie. Elle a été publiée dans la revue anarchiste "le Père Peinard".

Les reproches fait aux représentants des différentes institutions bourgeoises sont on ne peut plus communs dans les chansons révolutionnaires. Seul le clergé échappe au tir nourri. La violence est revendiquée et justifiée par les injustices contre lesquelles il est impossible de lutter autrement, puisque la loi, la justice, la police et l'armée servent les intérêts bourgeois, comme l'expérience de la Commune l'a montré ; l'atrocité de la répression bourgeoise justifie la violence révolutionnaire, en tout cas aux yeux de Faure.

Ravachol est un criminel de droit commun qui décide de donner un sens à sa vie et de poser des bombes au nom de l'idéal libertaire, participant à ce que Louise Michel et Errico Malatesta nomment la propagande par le fait : agir de façon spectaculaire et utiliser le procès qui s'ensuit, pour promouvoir la cause révolutionnaire. Il est condamné à mort en 1992 pour un crime ancien, mais son comportement au procès en fait un martyr dans l'opinion publique et un exemple à suivre.

Ravachol lors de son procès


Pour chanter Veni Creator
Il faut avoir chasuble d'or
Pour chanter Veni Creator
Il faut avoir chasuble d'or
Nous en tissons pour vous, grands de l'Église,
Et nous, pauvres canuts, n'avons pas de chemise.

Refrain
C'est nous les canuts,
Nous sommes tout nus.


Pour gouverner il faut avoir
Manteaux et rubans en sautoir.
Pour gouverner il faut avoir
Manteaux et rubans en sautoir.
Nous en tissons pour vous, grands de la terre,
Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre.

C'est nous les canuts,
Nous allons tout nus.


Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira :
Nous tisserons le linceul du vieux monde
Car on entend déjà la tempête qui gronde.


(le dernier refrain est parfois chanté : « C’est nous les Canuts, nous n’irons plus nus »).

La chanson fait référence aux révoltes des canuts, à Lyon (1831 puis 1834 et 1848), révoltes violemment réprimées. Les canuts sont les ouvriers de la soie à Lyon. Ils travaillent à domicile et sont payés à la tâche. Leurs conditions de vie sont très dures.

Le texte joue sur le contraste entre la misère des ouvriers qui tissent la soie et les riches qui s’en vêtent, une façon poétique d'évoquer la question fondamentale des luttes sociales : c'est le travail des pauvres qui crée la richesse des puissants. Les luttes du moment entretiennent la mémoire des anciens soulèvements.

Les Canuts révoltés avaient pour devise : « vivre en travaillant ou mourir en combattant »

Une maison de canut

Les Canuts (1894)

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Les humains joyeux auront un gros coeur

Et légère panse.

Heureux on saura - sainte récompense -

Dans l'amour d'autrui doubler son bonheur ;

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Les humains joyeux auront un gros coeur.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

On ne verra plus d'êtres ayant faim

Auprès d'autres ivres :

Sobres nous serons et riches en vivres ;

Des maux engendrés ce sera la fin.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Tous satisferont sainement leur faim.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Le travail sera récréation

Au lieu d'être peine.

Le corps sera libre et l'âme sereine

En paix fera son évolution.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Le travail sera récréation.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Nos petits enfants auront au berceau

Les baisers des mères ;

Tous seront choyés, tous égaux, tous frères ;

Ainsi grandira ce monde nouveau.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Nos enfants auront un même berceau.


Paillette, décrit un monde idéal rempli d’amour, que nous pouvons à peine nous imaginer et qui n’adviendra sans doute pas de sitôt, mais qui reste à construire et dont l'avènement ne saurait manquer d'arriver. La thématique écologique, critique du productivisme fait l’objet d’un couplet. Il s’agit d’un thème rarement abordé à l’époque.

Le fait de reprendre l’air du temps des cerises rend très claire la référence à la Commune et donc à la prise en main de leur destin par les travailleurs, ce qui permettra d’établir le monde rêvé. Pour de nombreux anarchistes de l’époque, l’expérience de la commune avait prouvé que le peuple était capable de s’organiser seul, il suffirait de le décider pour que la société sans classe devienne une réalité. La chanson vise donc à promouvoir cet idéal.


Heureux temps (1895)

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Les vieillards aimés, poètes-pasteurs,

Bénissant la terre,

S'éteindront béats sous le Ciel-Mystère,

Ayant bien vécu loin de ses hauteurs.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Les vieillards seront de bien doux pasteurs.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Nature sera paradis d'amour.

Femme souveraine !

Esclave aujourd'hui, demain notre reine,

Nous rechercherons tes "ordres du jour".

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Nature sera paradis d'amour.

Il semble encor loin ce temps d'anarchie,

Mais, si loin soit-il, nous le pressentons.

Une foi profonde

Nous fait entrevoir ce bienheureux monde

Qu'hélas notre esprit dessine à tâtons.

Il semble encor loin ce temps d'anarchie,

Mais, si loin soit-il, nous le pressentons.

J'ai des pavés et de la poudre,

De la dynamite à foison

Qui rivalisent avec la foudre

Pour débarbouiller l'horizon.

Le gaz est aussi de la fête,

Si l'on résiste à mes joyaux,

Au beau milieu de la tempête

Je fais éclater ses boyaux.

J'ai poudre verte et mélinite,

De fameux produits, mes enfants,

Pour nous débarrasser plus vite

De ces mangeurs de pauvres gens.

J'ai pour les gavés de la table

La bombe glacée à servir

Du haut d'un ballon dirigeable

Par les toits, pour les rafraîchir.

Voleuse et traître bourgeoisie,

Prêtres et bandits couronnés,

Il faut que d'Europe en Asie

Vous soyez tous assaisonnés

Je suis le vieux père Lapurge

Pharmacien de l'humanité ;

Contre sa bile je m'insurge

Avec ma fille Égalité


Refrain

J'ai ce qu'il faut dans ma boutique

Sans le tonnerre et les éclairs

Pour bien purger toute la clique

Des affameurs de l'univers

Son mal vient des capitalistes

Plus ou moins gras, à la ronger.

En avant les gars anarchistes,

Fils de Marat, faut la purger.

J'ai du pétrole et de l'essence

Pour badigeonner les châteaux ;

Des torches pour la circonstance

A mettre en guise de flambeaux.

J'ai du picrate de potasse,

Du soufre et du chlore en tonneaux

Pour assainir partout où passent

Les empoisonneurs de cerveaux.

La Purge (1896)

On remarque une référence à la révolution française. Il fallait oser pour publier cette chanson deux ans après la promulgation des lois scélérates.

Deux ans avant la parution de la chanson, Constant Marie arrêté en 1894 en application de ces lois scélérates pour une supposée participation à un attentat à la bombe, déclare au juge d’instruction : « Je suis anarchiste en ce sens que je voudrais une organisation sociale qui fasse à chacun sa place au soleil, qui donne à chacun sa part au banquet de la vie, chacun produisant selon ses moyens et recevant suivant ses besoins. Un état social dans lequel les uns ne meurent pas de faim et les autres d’indigestion. Je lis plutôt des livres de poésie que des livres de chimie. Je fais de la propagande des idées que je viens d’exposer, mais uniquement par les arguments et la persuasion ; personne ne pourra dire que j’ai conseillé la violence ».

Dans la déclaration ci-dessus on peut relever que chacun produit selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Il reprend là les idées communistes libertaires de Kropotkine, Bakounine ayant proposé que chacun reçoive en fonction de ce qu’il produit.

Bombe à la chambre des députés - 1893

Chaque matin, au lever de l'aurore,
Voyez passer ces pauvres ouvriers,
La face blême et fatigués encore,
Où s'en vont-ils ? se rendre aux ateliers,
Petits et grands les garçons et les filles,
Malgré le vent, la neige et le grand froid,
Jusqu'aux vieillards et les mères de famille,
Pour le travail ils ont quitté leur toit

Saluez riches heureux, ces pauvres en haillons,
Saluez se sont eux qui gagnent vos millions.

Ces ouvriers en quittant leur demeure
Sont-ils certains de revenir le soir ?
Car il n'est pas de jour ni même d'heure
Que l'on en voit victime du devoir,
Car le travail est un champ de bataille
Où l'ouvrier est toujours le vaincu
S'il est blessé qu'importe qu'il s'en aille,
A l'hôpital puisqu'il n'a pas d'écu.

Saluez riches heureux, ces pauvres en haillons,
Saluez se sont eux qui gagnent vos millions.

Combien voit-on d'ouvriers, d'ouvrières
Blessés soudain par un terrible engin,
Que reste-t-il pour eux, c'est la misère,
En récompense d'aller tendre la main,
Et sans pitié, l'on repousse ces braves
Après avoir rempli les coffres d'or,
Les travailleurs ne sont que des esclaves
Sous les courroux des maîtres du trésor.

Saluez riches heureux, ces pauvres en haillons,
Saluez se sont eux qui gagnent vos millions.

Que lui faut il à l'ouvrier qui travaille,
Etre payé le prix de sa sueur,
Vivre un peu mieux que couché sur la paille,
Un bon repos après son dur labeur
Avoir du pain au repas sur la table,
Pouvoir donner ce qu'il faut aux enfants,
Pour son repos, un peu de confortable
Afin qu'il puisse travailler plus longtemps

Saluez riches heureux, ces pauvres en haillons,
Saluez se sont eux qui gagnent vos millions.

Saluez riches heureux (?)

La chanson est une complainte évoquant la misère des ouvriers, dont le dur labeur profite aux patrons. Elle insiste sur les accidents de travail. Bien que la chanson ait été composée par un poète populaire roubaisien au XIXeme siècle et qu'elle n'appelle pas explicitement à la révolte, elle est liée dans la mémoire des luttes sociales aux grèves des sardinières de Douarnenez en 1924.

L'on notera que le dernier couplet revendique de meilleures conditions de vie pour que les ouvriers puissent travailler davantage. L'on est très loin du discours patronal sur les gauchistes feignants qui s'opposent à la valeur travail.

Des femmes ont été licenciées pour avoir chanté cette chanson à la sortie des usines.

Manifestation à Douarnenez en 1924


Debout les damnés de la terre !

Les despotes épouvantés

Sentant sous leurs pas un cratère,

Au passé se sont acculés.

Leur ligue folle et meurtrière

Voudrait à l'horizon vermeil

Éteindre l'ardente lumière

Que verse le nouveau soleil,


Refrain

Debout, debout, les damnés de la terre !

Ceux qu'on écrase en les charniers humains,

Debout, debout, les forçats de misère !

Unissons-nous, Latins, Slaves, Germains.


Que la troisième République

Se prostitue au tsar pendeur ;

Qu'une foule extra-lunatique

Adore l'exterminateur !

Puisqu'il faut que tout disparaisse,

Peu nous importe ! C'est la fin,

Partout les peuples en détresse

S'éveillent se donnant la main,

Le qualificatif de Noire, désigne-t-il l'internationale anarchiste ? Il semble que les libertaires aient conservé longtemps le drapeau rouge, bien que le noir soit présent lors de certains mouvements sociaux et arboré par Louise Michel. L'internationale noire désigne au départ l'internationale catholique réactionnaire, puis les fascistes. Le tsar pendeur est Alexandre III, connu pour son autoritarisme et le manque de liberté politique dans son pays qui entraîne de nombreuses révoltes . En 1887 des révolutionnaires socialistes sont pendus pour avoir fomenté une tentative d’assassinat à son encontre.

C’est avec ce régime, le plus autocratique d’Europe, qu’en 1892 la république française signe un traité d’alliance. L'idée est de prendre l'Allemagne et l'Autriche Hongrie à revers. Il s'agit d'une circonstance aggravante aux yeux de Louise Michel, puisqu'il s'agit de préparer une guerre. La première guerre mondiale est vendue au peuple français comme une guerre entre les démocraties libérales et les empires réactionnaires. Or l'Empire Russe est le pays le plus réactionnaire d'Europe. C'est cette contradiction que l'autrice dénonce avec sa véhémence habituelle.

En réalité, il s'agit avant tout pour les gouvernants de "cimenter les frontières" dans le sang des peuples. On fait la guerre pour des motifs de politique intérieure.

Louise Michel s'adresse ensuite violemment aux bourgeois, lâches et cupides, qui font appel à des tyrans pour protéger leur fortune et au peuple pour aller se faire tuer.

Le refrain en appelle à l’union des peuples de toute l’Europe pour éviter les massacres à venir et mettre fin aux frontières nationales.

Bons bourgeois que César vous garde,

César aux grands ou petits bras :

Pape, République bâtarde ;

Les tocsins sonnent votre glas

Rois de l'or hideux et féroces.

Les fiancés que vous tuez

Demain auront de rouges noces.

Tocsins, tocsins, sonnez, sonnez.

Les potentats veulent la guerre

Afin d'égorger leurs troupeaux :

Pour cimenter chaque frontière

Comme on consacrait les tombeaux.

Mais il vient le temps d'Anarchie

Où, dans l'immense apaisement,

Loups de France et de Sibérie,

Loups humains jeûneront de sang.

Le tsar Nicolas II

L’Internationale noire (1897)

Paysans dont la simple histoire
Chante en nos cœurs et nos cerveaux,
L'exquise douceur de la Loire,
Et la bonté des vins nouveaux. (x2)

Allons-nous, esclaves placides,
Dans un sillon où le sang luit,
Rester à piétiner au bruit
Des Marseillaises fratricides ?

Refrain

En route ! Allons les gars ! Jetons nos vieux sabots,
Marchons,
Marchons,
En des sillons plus larges et plus beaux !

A la clarté des soirs sans voiles,
Regardons en face les cieux ;
Cimetière fleuri d'étoiles,
Où nous enterrerons les dieux. (x2)

Car il faudra qu'on les enterre,
Ces dieux féroces et maudits,
Qui, sous espoir de Paradis,
Firent de l'enfer sur la "Terre" !

Refrain

Ne déversons plus l'anathème,
En gestes grotesques et fous,
Sur tous ceux qui disent : " Je t'aime ",
Dans un autre patois que nous (x2)

Et méprisons la gloire immonde,
Des héros couverts de lauriers :
Ces assassins, ces flibustiers,
Qui terrorisèrent le monde !

Refrain

La chanson détournant la Marseillaise met en scène un anarchisme rural, resté marginal en France contrairement à d’autres pays comme l’Espagne ou l’Italie, dont l’organisation des campagnes était plus communautaire. La chanson est résolument pacifiste, ce qui est logique dans une période de montée des tensions internationales. La course aux armements fait rage en Europe. Les Internationalistes sont les opposants les plus résolus à la guerre qui se prépare ; on se souvient des discours de Jean Jaures, le grand leader communiste de l’époque, qui a payé de sa vie son engagement en faveur de la paix. La chanson dénonce la religion. Là aussi, il s’agit d’un sujet d’actualité puisque la question de la laïcité fait l’objet de débats enflammés au tout début du vingtième siècle. Le couplet sur l’amour libre est lui-aussi significatif ; les anarchistes contestent de plus en plus le mariage. Pour Voltairine de Clayre, il s’agit d’une institution économique, émanant du capitalisme et faite pour asservir les femmes. Le thème prend de l’importance avec la montée de l’anarchisme individualiste. La chanson en appelle à la fraternité universelle et à la tolérance.


La chanson a été chantée à Saint Nazaire lors des manifestations contre la réforme des retraites en 2023.

La Paysanne (environ 1900)

autre titre : la Marseillaise des paysans

Plus de morales hypocrites,
Dont les barrières, chaque jour,
Dans le sentier des marguerites,
Arrêtent les pas de l'amour ! (x2)

Et que la fille-mère quitte,
Ce maintien de honte et de deuil,
Pour étaler avec orgueil,
Son ventre où l'avenir palpite !

Refrain

Semons nos blés, soignons nos souches !
Que l'or nourricier du soleil,
Emplisse pour toutes nos bouches,
L'épi blond, le raisin vermeil ! (x2)

Et seule guerre nécessaire,
Faisons la guerre au Capital,
Puisque son Or : soleil du mal !
Ne fait germer que la misère...

Gaston Couté



Tu veux bâtir des cités idéales,
Détruis d’abord les monstruosités.
Gouvernements, casernes, cathédrales,
Qui sont pour nous autant d’absurdités.
Dès aujourd'hui, vivons le communisme
Ne nous groupons que par affinités
Notre bonheur naîtra de l’altruisme
Que nos désirs soient des réalités

Refrain :
Debout, debout, compagnons de misère
L’heure est venue, il faut nous révolter
Que le sang coule, et rougisse la terre
Mais que ce soit pour notre liberté
C’est reculer que d’être stationnaire
On le devient de trop philosopher
Debout, debout, vieux révolutionnaire
Et l’anarchie enfin va triompher


Empare-toi maintenant de l’usine
Du capital, ne sois plus serviteur
Reprends l'outil, et reprends la machine
Tout est à tous, rien n’est à l’exploiteur
Sans préjugé, suis les lois de nature
Et ne produis que par nécessité
Travail facile, ou besogne très dure
N’ont de valeur qu’en leur utilité

On rêve amour par delà les frontières

On rêve amour aussi de ton côté
On rêve amour dans les nations entières
L’erreur fait place à la réalité
Oui, la patrie est une baliverne
Un sentiment doublé de lâcheté
Ne deviens pas de la viande à caserne
Jeune conscrit, mieux te vaut déserter

Charles d'Avray a 23 ans lorsqu'il écrit de texte. Il n'a pas connu la Commune et s'adresse à la génération précédente, les "vieux révolutionnaires", dont il souhaite ranimer la flamme. La chanson ne se contente pas d'évoquer monde idéal dans lequel les hommes sont libres et égaux. Elle énumère les maux à abattre : religion, politique, armée. La chanson évoque aussi les moyens d’y parvenir : lutte violente et discussion, conviction et tolérance. Pour les théoriciens anarchistes, la violence est un mal qui sera peut-être nécessaire : pour Bakounine et Malatesta, "quelques morts seront sans doute inévitables", pour Charles d'Avray, la violence doit rester une option, en cas de besoin. En revanche, il prône la désobéissance immédiate.

Il est fait appel à la science, à l’éducation, l’engagement, la raison, et la force. La croyance au progrès était très forte cette époque. Les avancées scientifiques ne peuvent manquer d’entraîner l’avènement de la société idéale, guidée par la raison et non basée sur des instincts violents et des comportements prédateurs. Plusieurs grandes figures anarchistes de l'époque sont des scientifiques reconnus, biologistes, mathématiciens, géographes (Kropotkine, Elie et Elysée Reclus...).



Tous tes élus fous-les à la potence
Lorsque l’on souffre on doit savoir châtier
Leurs électeurs fouaille-les d’importance
Envers aucun il ne faut de pitié
Eloigne-toi de toute politique
Dans une loi ne vois qu’un châtiment
Car ton bonheur n’est pas problématique
Pour vivre heureux Homme vis librement

Quand ta pensée invoque ta confiance
Avec la science il faut te concilier
C’est le savoir qui forge la conscience
L’être ignorant est un irrégulier
Si l’énergie indique un caractère
La discussion en dit la qualité
Entends réponds mais ne sois pas sectaire
Ton avenir est dans la vérité

Place pour tous au banquet de la vie
Notre appétit seul peut se limiter
Que pour chacun, la table soit servie
Le ventre plein, l’homme peut discuter
Que la nitro, comme la dynamite
Soient là pendant qu’on discute raison
S’il est besoin, renversons la marmite
Et de nos maux, hâtons la guérison

Une version punk

Le triomphe de l’anarchie (1901)

Version française

Vous êtes tombés pour tous ceux qui ont faim,
Tous ceux qu'on méprise et opprime,
De votre pitié pour vos frères humains,
Martyrs et victimes sublimes.

Refrain :
Mais l'heure a sonné et le peuple vainqueur
S'étire, respire, prospère.
Adieu, camarades, adieu, nobles cœurs,
Adieu, les plus nobles des frères.


Pour prix de vos peines, la peine de mort,
Ou bien la prison pour la vie,
Du bruit de vos chaînes sont pleines encore
Les plaines de Sibérie.

Le Chant des martyrs (1905)

Traduction de la version russe originale

Tu es victime d'une lutte fatale, de ton amour désintéressé pour le peuple,

Tu as donné tout ce que tu pouvais pour lui. Pour sa vie, son honneur et sa liberté.

Tu languis dans des prisons humides. Leur jugement est sans pitié pour ton courage

Les juges et les bourreaux ont parlé il y a longtemps. Et tu marches en faisant claquer tes chaînes.

Ces chaînes s'échauffaient sous l'effet des rayons brûlants et mordaient le corps comme des serpents.

Et du sang chaud s'écoule des blessures déchirées par les chaînes.

Mais tu portes les chaînes en silence, tu souffres à cause de ton amour.

Car tu n'as pas pu rester indifférent à la mort de ton frère mourir dans la misère.

Et le despote festoie dans un palais luxueux, noyant son anxiété dans le vin.

Mais une main fatale dessine depuis longtemps des lettres menaçantes sur le mur.

La tyrannie tombera et le peuple se lèvera – grand, puissant, libre.

Adieu, frères, nous avons parcouru honnêtement notre chemin vaillant et noble.

Le chant des martyrs commémore les victimes de la répression de la tentative de révolution de 1905 en Russie. Il dénonce, avec une ironie involontaire, les exécutions et la détention dans les camps sibériens, que ni Lénine ni Staline ne fermeront. Le pouvoir russe continue à l’heure actuelle a y enfermer ses opposants.

Ce chant devient l’hymne funèbre du mouvement ouvrier et de l’URSS, interprété à la mort de la plupart de ses dirigeants. Il est également chanté tous les ans en Allemagne lors de la commémoration de l'assassinat de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht.

Puisque le feu et la mitraille,
Puisque les fusils, les canons
Font dans le monde des entailles
Couvrant de morts plain's et vallons.
Puisque les homm's sont des sauvages
Qui r'nient le dieu
Fraternité,
Femmes debout, femmes à l'ouvrage
Il faut sauver l'Humanité !

Refrain

Refuse de peupler la terre

Arrête ta fécondité
Déclare la grève des mères
Aux bourreaux crie ta volonté !
Défends ta chair,
Défends ton sang.
À bas la guerre et les tyrans !

La Grève des mères est l’exact pendant des futurs discours de Mussolini selon qui « la guerre est à l’homme ce que la maternité est à la femme ». La France prépare sa revanche contre l’Allemagne et a besoin de soldats. La chanson est censurée, son auteur est condamné à une amende et échappe de peu à la prison.

Cet appel aux femmes à ne plus mettre au monde de soldats est mondial ; on trouve des chansons sur ce thème dans tous les pays anglo-saxons.

Le contrôle des naissances était un sujet important chez les anarchistes de l’époque, dont bon nombre étaient néo-malthusiens. C’est l’un des thèmes principaux des conférences d’Emma Goldman considérée comme "la femme la plus dangereuse des Etats-Unis".

Pour faire de ton fils un homme
Tu as peiné pendant vingt ans,
Tandis que la gueuse en assomme,
En vingt second's, des régiments.
L'enfant qui fut ton espérance,
L'êtr' qui fut nourri de ton sein
Meurt dans d'horribles souffrances,
Te laissant vieill' souvent sans pain.

Refrain

Est-c'que le ciel a des frontières ?
Ne couvre-t il pas le monde entier ?
Pourquoi sur terre des barrières ?
Pourquoi d'éternels crucifiés ?
Le meurtre n'est pas un' victoire ;
Qui sèm' la mort est un maudit ;
Nous n'voulons plus pour votre gloire
Donner la chair de nos petits !

La grève des mères (1905)

Légitim’ était votre colère,
Le refus était un grand devoir.
On ne doit pas tuer ses père et mère,
Pour les grands qui sont au pouvoir.
Soldats, votre conscience est nette :
On n’se tue pas entre Français ;
Refusant d’rougir vos baïonnettes
Petit soldats, oui, vous avez bien fait !

Refrain
Salut, salut à vous,
Braves soldats du 17ème ;
Salut, braves pioupious,
Chacun vous admire et vous aime ;
Salut, salut à vous,
A votre geste magnifique ;
Vous auriez, en tirant sur nous,
Assassiné la République.

Comm’ les autres vous aimez la France,
J’en suis sûr même vous l’aimez bien.
Mais sous votre pantalon garance,
Vous êtes restés des citoyens.
La patrie, c’est d’abord sa mère,
Cell’ qui vous a donné le sein,
Et vaut mieux même aller aux galères,
Que d’accepter d’être son assassin.

Les pioupious sont les jeunes fantassins. La chanson fait référence à la révolte des vignerons du Languedoc en 1907. Le 20 juin, à Narbonne, la troupe fait feu sur les manifestants. En apprenant la nouvelle, le 17eme régiment d’infanterie se rend à Bézier, mais les soldats fraternisent avec le peuple. Le rêve devient réalité, mais cette attitude ne se généralise pas au sein de l’armée ; les mutins sont sévèrement punis.

Gloire au 17eme (1907)

Espérons qu’un jour viendra en France,
Où la paix, la concorde régnera.
Ayons tous au cœur cette espérance
Que bientôt ce grand jour viendra.
Vous avez j’té la premièr’ graine
Dans le sillon d’ l’Humanité.
La récolte sera prochaine,
Et ce jour là, vous serez tous fêtés.

Manifestatons viticoles à Carcassonne en 1907

La chanson révolutionnaire italienne la plus populaire, chantée lors des fameux mouvements sociaux des mondines, ouvrières agricoles dans la plaine du Pô au début du XXeme siècle. Elle reprend les thèmes classiques du genre.

Elle appelle à l'expropriation des usines et des terres et à l'unité du peuple. Tuzzi refuse la violence, considérant que la mobilisation du plus grand nombre suffira à faire advenir la société future.

La chanson deviendra l’hymne du parti communiste italien qui naitra en 1921 . Il en existera de nombreuses versions, modifiées au fil des luttes et des événements.

Avanti popolo, bandiera rossa
Alla riscossa, alla riscossa
Avanti popolo, bandiera rossa
Alla riscossa, trionferà

Refrain

Bandiera rossa la trionferà (x3)
Evviva il comunismo e la libertà (x2)


Vogliamo fabbriche, vogliamo terra
Ma senza guerra, ma senza guerra
Vogliamo fabbriche, vogliamo terra
Ma senza guerra, trionferà


Avanti popolo, bandiera rossa
Alla riscossa, alla riscossa
Avanti popolo, bandiera rossa
Alla riscossa, trionfera.

Traduction chantable

Avec le peuple, le drapeau rouge

À la rescousse, à la rescousse

Avec le peuple, le drapeau rouge

A la rescousse, triomphera


Refrain

Le drapeau rouge triomphera (x3)

Vive le communisme et la liberté (x2)


Nous voulons les usines, nous voulons les terres

Mais sans la guerre, mais sans la guerre

Nous voulons les usines, nous voulons les terres

Mais sans la guerre, il triomphera


Avec le peuple, le drapeau rouge

À la rescousse, à la rescousse

Avec le peuple, le drapeau rouge

A la rescousse, triomphera


Avanti Popolo (1908)

Anonyme

Ya se van los Carrancistas,

Ya se van para Perote,

Y no pueden caminar,

Por causa de sus bigotes.


Refrain :

La cucaracha, la cucaracha,

Ya no puede caminar ;

Porque no tiene, porque le falta

Marihuana que fumar


« De las barbas de Carranza

voy hacerme un calabrote

para amarrar el caballo

de mi general Coyote »


Refrain


Perote est une ville de l’État de Veracruz.

Carranza est un homme politique mexicain, tenant de la légitimité constitutionnelle. Il porte une très longue barbe à deux pointes.

El Coyote est le surnom de Nabir Mendoza, général zappatiste. Emiliano Zappata est à la tête de l’une des factions révolutionnaires. Il ne combat pas tant pour des causes et des idées générales que pour une réforme agraire (restitution des terres aux indiens et aux paysans).

La chanson, espagnole introduite au Mexique avant 1818, a été chantée durant la guerre contre l’empereur Maximilien, puis a fait l’objet de nombreuses versions durant plusieurs soulèvements. Celle ci est une version zapatiste de la révolution mexicaine. Elle se moque de l’ennemi, contraint de faire retraite, qualifié de cafard en manque de cannabis moins rapide que ses poursuivants (le général coyote et ses cavaliers).

La cucaracha (1910 et +)

Traduction (non chantable)

Voici que les Carrancistes s'en vont

Ils s'en vont enfin à Perote

Et ils ne peuvent pas marcher

À cause de leurs moustaches

Refrain :

Le cafard, le cafard,

Ne peut plus marcher ;

Parce qu'il n'a pas, parce qu'il lui manque

De la marijuana à fumer

Des barbes de Carranza

Je vais me faire un licol

Pour attacher le cheval

De mon général Coyote

Refrain

Emiliano Zapata - vers 1911



Voyez donc cet aristocrate,
Pâle gommeux qui fait des épates,
Il passe sa vie à nocer,
A vingt ans c’est déjà cassé.
Comme une femme ça a des faiblesses,
Ca veut jouer à l’ancienne noblesse,
Incapable de gagner son pain,
Voilà le type du vrai gandin.

Il a les mains blanches,
Les mains maquillées,
Il a les mains blanches,
Par la honte souillées.
Ca sent la paresse, c’est mou, c’est gnan-gnan,
Voilà c’qu’on appelle des mains de feignant !

Voyez donc ces hommes en soutane,
Soi-disant sur eux l’Bon Dieu plane,
Ils prônent Moïse et Jésus-Christ,
Mais font l’contraire de leurs écrits.
Oui Moïse était un apôtre,
Jésus-Christ mourut pour les autres,
Tandis qu’vous, prêtr’s, pasteurs, rabbins,
Votre but, c’est l’or, le butin !

Ils ont les mains blanches,
Les mains maquillées,
Ils ont les mains blanches,
Par l’or elles sont souillées.
Ca sent le tartuffe, l’avare, le gripp’sous
Voilà c’qu’on appelle des mains de filou !



Les mains blanches (1910)

Gomeux : qui a les cheveux gominés. Faire des épates : frimer. Gandin : exagérément élégant. Paillasse : clown de foire.

La création des retraites remonte à cette même année 1910.

Chaque couplet évoque un parasite, ennemi du peuple : riche oisif, prêtre, politicien, tous engraissés par le labeur des travailleurs qu'ils s'entendent pour exploiter. Les inégalités sociales sont considérables.

La chanson, contrairement à la précédente, n’appelle pas à la révolte. Il faut dire que Montéhus est à ce moment là dans le viseur de la justice pour avoir appelé les femmes à cesser de faire des enfants qui iront se faire tuer à la guerre.

Il est remarquable que la force et l’honneur mentionnées à l’avant dernier vers, aux côtés du courage aient été une devise des Gilets Jaunes. La fierté des Petits est-elle toujours aussi aussi étrangère aux Grands que l’usure de leurs mains ?



Voyez donc ces hommes politiques,
Vrais paillasses à gueule tragique,
Qui pour aller au Parlement
Au peuple font du boniment :
J’vous promets les r’traites ouvrières,
J’vous promets la fin d’vos misères,
Ils se votent d’abord et comment !
Pour eux-mêmes quarante-et-un francs !

Ils ont les mains blanches,
Les mains maquillées,
Ils ont les mains blanches,
Par la fraude souillées.
Ca sent le roublard, ça sent le malin,
Voilà c’qu’on appelle un poil dans la main !

Voyez donc cette foule tapageuse,
Que’qu’ fois gaie, souvent malheureuse,
Oui ce sont les brav’s ouvriers,
C’est la masse des sacrifiés.
Ils reviennent du bagne de l’usine,
Ils sont pâles, ils ont mauvaise mine,
Hommes et femmes, vrais gueux, meurt-de-faim
Qui engraissent un tas de coquins !

Leurs mains n’sont pas blanches,
Ils ont travaillé,
Leurs mains n’sont pas blanches,
Elles sont meurtries, broyées.
Ca sent le courage, la force et l’honneur,
Voilà c’qu’on appelle des mains d’travailleurs !



Enregistrement original de l'auteur


Allez ! petits soldats de France
Le jour des poir’s est arrivé.
Pour servir la Haute Finance
Allez vous en là-bas crever ! (bis)
Tandis qu’au cœur de la fournaise
Vous tomb’rez, une balle au front,
De nos combin’s nous causerons
En fredonnant la "Marseillaise" !

Refrain

Aux Armes, les enfants ! Formez vos bataillons,
Marchez ! marchez ! Nous récolt’rons
Dans le sang, des sillons !

Allez ! guerriers pleins de courage,
Petits fils de la liberté,
Allez réduire en esclavage
De pauvr’s Arbis épouvantés ! (bis)
Dans leurs douars, que le canon tonne
Plus fort que le tonnerr’ d’Allah :
Nous align’rons pendant c’temps-là,
Des chiffres en longues colonnes !

Allez-y ! qu’ les cadavr’s s’entassent
Par centaines et par milliers,
Que la plaine où les balles passent
N’soit plus qu’un immense charnier ! (bis)
D’vant l’récit de tout’s ces misères,
En ouvrant le journal de d’main,
Nous song’rons, nous frottant les mains :
« Ça n’biche pas trop mal, les affaires ! »


Allez ! si les autres voraces,
Si tous les requins d’Outre-Rhin,
Font en c’moment un’ sal’ grimace
Ça n’nous défris’ pas l’moindre brin (bis)
Un’ nouvelle guerre ? on s’en fout, puisque
C’est vous qui marcheriez encor
Pour défendre nos coffres-forts
Alors ! Franch’ment, nous qu’est-c’qu’on risque ?

Nous entrerons dedans la place
Après que vous n’y serez plus :
Nous y trouverons vos carcasses
Près des carcasses des vaincus ! (bis)
Et sur les tombes toutes proches,
Se r’joignant à deux pieds dans l’sol
Avec l’or du meurtre et du vol
Nous emplirons froid’ment nos poches !


La Marseillaise des requins (1911)

La satire est féroce. Les guerres sont faites au profit de la finance, lorsqu'il s'agit des expéditions coloniales lointaines ou des conflits européens. Les internationalistes d'avant la première guerre mondiale dénoncent une guerre menée au profit des capitalistes colonisateurs, qui envoient les prolétaires se battre. L'armée est principalement une armée de conscription et les appels à l'insoumission se multiplient.

La chanson est construite sur l'opposition répétée entre les souffrances du champ de bataille et les intérêts financiers de la bourgeoisie capitaliste.

Brochure pacifiste 1905

Nous somm’s la jeune France
Nous somm’s les gars de l’avenir,
El’vés dans la souffrance, oui, nous saurons vaincre ou mourir ;
Nous travaillons pour la bonn’cause,
Pour délivrer le genre humain ,
Tant pis, si notre sang arrose
Les pavés sur notre chemin


Refrain

Prenez garde ! prenez garde !
Vous les sabreurs, les bourgeois, les gavés, (et les curés)
V’là la jeun’garde v’là la jeun’garde qui descend sur le pavé,
C’est la lutte final’ qui commence
C’est la revanche de tous les meurt de faim,
C’est la révolution qui s’avance,
C’est la bataille contre les coquins,
Prenez garde ! prenez garde !
V’là la jeun’garde !



L a jeune garde (1912)

originellement « chanson des jeunes gardes »

Enfants de la misère,
De forc’ nous somm’s les révoltés,
Nous vengerons nos mères
Que des brigands ont exploitées ;
Nous ne voulons plus de famine
A qui travaille il faut des biens,
Demain nous prendrons les usines
Nous somm’s des homm’s et non des chiens

Nous n’ voulons plus de guerre
Car nous aimons l’humanité,
Tous les hommes sont nos frères
Nous clamons la fraternité,
La République universelle,
Tyrans et rois tous au tombeau !
Tant pis si la lutte est cruelle
Après la pluie le temps est beau.

La chanson a été modifiée au cours du temps (couplets rajoutés après la révolution russe, "meurt de faim" remplacé par "crève la faim", "jeune France" remplacée par "jeune garde"...)

Les ennemis mentionnés sont toujours les mêmes. La chanson prône la révolte face aux exploiteurs. Les sabreurs désignent les militaires, car les charges de cavalerie sabre au clair contre les manifestants ne sont pas rares à l'époque.

Les vers concernant les mères exploitées qu'il faut venger sont assez rares pour être sous-lignés . Les salaires des femmes sont inférieurs de moitié à ceux des hommes. L'égalité salariale entre les sexes fait partie des revendications des féministes de l'époque, les inégalités favorisant la prostitution.

Le dernier couplet rappelle la lutte de la gauche révolutionnaire de l'époque en faveur du pacifisme. La chanson est écrite trois ans avant la première guerre mondiale et le thème est particulièrement prégnant.

La chanson est commandée par la SFIO, pour les sections jeunesse qu'elle vient de créer. Elle restera l'hymne des jeunes socialistes français durant une bonne partie du XXe siècle. Elle était encore chantée lors des rassemblements du parti socialiste durant les années 1980.

Enregistrement de l'auteur

Du pain et des roses

Anonyme d’après un poème de James Oppenheim dédié aux femmes de l’ouest.

As we go marching, marching, in the beauty of the day,
A million darkened kitchens, a thousand mill lofts gray,
Are touched with all the radiance that a sudden sun discloses,
For the people hear us singing: “Bread and roses! Bread and roses!”
As we go marching, marching, we battle too for men,
For they are women's children, and we mother them again.

ou, dans les versions modernes :

For they are in the struggle, together we shall win

Our lives shall not be sweated from birth until life closes;
Hearts starve as well as bodies; give us bread, but give us roses.

As we go marching, marching, unnumbered women dead
Go crying through our singing their ancient call for bread.
Small art and love and beauty their drudging spirits knew.
Yes, it is bread we fight for, but we fight for roses too.

As we go marching, marching, we bring the greater days,
The rising of the women means the rising of the race.
No more the drudge and idler, ten that toil where one reposes,
But a sharing of life's glories: Bread and roses, bread and roses.

Our lives shall not be sweated from birth until life closes;
Hearts starve as well as bodies; bread and roses, bread and roses.

En 1912, le titre du poème Bread and Roses, devient le slogan d’une grève massive et très dure, à Lawrence (Massachusets). Le mouvement compte essentiellement des femmes, migrantes récentes. Des photos d’enfants de grévistes affamés émeuvent les Etats Unis, contraignant les employeurs à négocier. La chanson régulièrement reprise et chantée dans de nombreux mouvements sociaux devient emblématique de la lutte féministe aux Etats-Unis. Elle rappelle que les revendications des travailleu(s)es ne concernent pas uniquement les questions matérielles, mais également la considération, la dignité, l’accès à l’art.

Traduction chantable

Lorsque nous marchons, marchons, dans la lumière au grand jour

Un million de greniers gris et de bien sombres cuisines

Sont inondés de clarté, le soleil les illumine

Car on nous entend chanter : « Bread and roses, bread and roses »


Lorsque nous marchons, marchons, c’est aussi pour les hommes

Car ils sont enfants de femmes, nous les maternons encore.

(ou : Parcequ’ils luttent avec nous, ensemble nous triompherons)

Notre vie ne doit pas être de trimer jusqu’à notre mort.

Nos corps et nos coeurs ont faim ; de pain mais aussi de roses.


Lorsque nous marchons marchons, des millions de femmes mortes,

Pleurent avec nous pour du pain à travers notre chanson

Elles aussi auraient aimé connaître beauté et amour

Nous nous battons pour du pain, nous nous battons pour des roses.


Lorsque nous marchons, marchons, vers un avenir meilleur

Lorsque les femmes se dressent, tout le genre humain progresse

C’est fini les injustices dix qui triment, un qui profite.

Partageons nous les richesses : bread and roses, bread and roses.


Notre vie ne dois pas être de trimer jusqu’à la mort.

Nos cœurs et nos corps ont faim ; de pain mais aussi de roses.

Bread and Roses (1912)

Publié sur le site :


There are women of many descriptions
In this queer world, as everyone knows,
Some are living in beautiful mansions,
And are wearing the finest of clothes
There are blue blooded queens and princesses
Who have charms made of diamonds and pearl;
But the only and thoroughbred lady

Chorus :

She’s the Rebel Girl, she’s the Rebel Girl

To the working class she's a precious pearl.
She brings courage, pride and joy
To the fighting Rebel Boy.
We've had girls before, but we need some more
In the Industrial Workers of the World.
For it's great to fight for freedom
With a Rebel Girl.

Yes, her hands may be hardened from labor,
And her dress may not be very fine;
But a heart in her bosom is beating
That is true to her class and her kind.
And the grafters in terror are trembling
When her spite and defiance she'll hurl;
For the only and thoroughbred lady
Is the Rebel Girl

Refrain

Un grafter, que j’ai traduit par « jaune » est un ouvrier qui fait du zèle. La chanson est dédiée à Elizabeth Gurley Flynn (1890–1964), une ouvrière féministe qui joue un rôle important dans l’anarcho-syndicalisme américain. Elle mène des grèves dès l’âge de 17 ans. Flynn est connue pour ses talents oratoires.

Elle s’implique également dans la lutte pour le droit de vote des femmes et le contrôle des naissances ; pour elle, comme pour l’auteur de la chanson, ces combats se confondent, ou plus précisément se fondent en une seule vaste lutte contre toute domination et exploitation.

Flynn rejoint le parti communiste américain en 1936. A sa mort, lors d’un séjour en Russie, l’URSS lui fait des funérailles nationales.

Joe Hill est condamné à mort. La nuit précédant son exécution, Joe Hill envoie à Gurley Flynn un télégramme se terminant par ces mots : « je voudrais de toi un baiser d’adieu, non parce que tu es une fille, mais parce que tu es la fille rebelle par excellence. »

Traduction non chantable :

Il ll y a tant de femmes si différentes

Dans ce monde bizarre, comme chacun sait,

Certaines vivent dans de somptueuses demeures,

Et portent les plus beaux vêtements

Il y a des reines et des princesses au sang bleu

Qui ont les charmes des diamants et des perles;

Mais la seule vraie grande dame

C’est la fille rebelle.

Refrain :

C’est la fille rebelle, c’est la fille rebelle

Pour la classe ouvrière, c’est une perle précieuse.

Elle donne courage, fierté et joie

Au combattant Garçon Rebelle.

Nous avons eu des filles avant, mais il nous en faut davantage

Au sein du syndicat.

Car c’est chouette de se battre pour la liberté

Auprès d’une Fille Rebelle.


Oui, ses mains peuvent être endurcies par le travail,

Et sa robe n’est peut-être pas très belle;

Mais un cœur bat en son sein

Pour sa classe et pour son genre.

Et les jaunes dans la terreur tremblent

Quand elle leur jette sa vindicte

Car la seule vraie grande dame

C’est la Fille Rebelle

Rebel Girl (1913 ou 1915)

Publié sur le site :

Elisabeth Gurley Flynn

Anonyme

Alla mattina, appena alzata,

O Bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao,

Alla mattina, appena alzata,

In risaiami tocca andar.

E tra gli insetti e le zanzare,

O Bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao,

E tra gli insetti e le zanzare,

Duro lavoro mi tocca far.

Il Capo in piedi col suo bastone,

O Bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao,

Il Capo in piedi col suo bastone,

E noi curve a lavorar.

O mamma mia, o che tormento,

O Bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao,

O mamma mia, o che tormento,

Io t'invoco ogni doman.

Ma verra' un giorno che tutte quante

O Bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao,

Ma verra' un giorno che tutte quante

lavoreremo in liberta'.


La chanson est au féminin, seul le chef est masculin.

C'est l'une des plus anciennes versions connues de la fameuse chanson « Bella Ciao » fait référence aux mondines, ouvrières rizicoles de la plaine du Po, qui ont déclenché d’importants mouvements sociaux au début du XXeme siècle. La chanson n’évoque pas la cause des femmes en tant que telles, mais dénonce les conditions de travail des ouvrières, proches de l’esclavage ; le chef qui les surveille est armé d’un bâton. Pour noircir encore le tableau, il s’avère que cette condition se transmet d’une génération à l’autre.

Dans d’autres chansons on apprend que la principale revendication des mondines est la journée de huit heures. Les grèves échouent à cause des « jaunes », ouvrières agricoles encore plus misérables, payées à la journée qui acceptent n’importe quelles conditions de travail.

Alla mattina appena alzata (1915)

Traduction chantable

De bon matin sitôt levée

O Bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao,

De bon matin, sitôt levée,

Faut marcher jusqu’aux rizières.

Avec les insectes et les moustiques,

O Bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao,

Avec les insectes et les moustiques,

Le travail est vraiment dur

Le Chef est debout avec son bâton,

O Bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao,

Le Chef est debout avec son bâton,

Et nous, courbées au travail.

O ma mère, je me tourmente,

O Bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao,

O ma mère, je me tourmente,

Ma vie est comme ta vie.

Mais viendra un jour où nous toutes

O Bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao,

Mais viendra un jour où nous toutes

Travaillerons en liberté

Traduction de Jean Baumgarten

Nous engraissons le capital et ses usines
Enchaînés du matin au soir à la machine
Pour notre peine, des salaires de famine
Mais l'union nous rendra forts.

Refrain :
Solidarité mes frères
Solidarité mes frères
Solidarité mes frères
Ensemble nous vaincrons.


Mais si un jour nous arrêtons toutes nos machines
Mais si un jour nous occupons toutes nos usines
Puissants patrons vous ferez alors tristes mines
Car l'union nous rendra forts.

En combattant pour elle, la classe ouvrière
Apportera un ordre nouveau sur la terre
Au coude à coude restons unis, prolétaires
C'est l'union qui nous rend forts.

When the union's inspiration through the workers' blood shall run,
There can be no power greater anywhere beneath the sun;
Yet what force on earth is weaker than the feeble strength of one,
But the union makes us strong.

Refrain :
Solidarity forever,
Solidarity forever,
Solidarity forever,
For the union makes us strong.


Is there aught we hold in common with the greedy parasite,
Who would lash us into serfdom and would crush us with his might?
Is there anything left to us but to organize and fight?
For the union makes us strong.

It is we who plowed the prairies; built the cities where they trade;
Dug the mines and built the workshops, endless miles of railroad laid;
Now we stand outcast and starving midst the wonders we have made;
But the union makes us strong.

All the world that's owned by idle drones is ours and ours alone.
We have laid the wide foundations; built it skyward stone by stone.
It is ours, not to slave in, but to master and to own.
While the union makes us stron

They have taken untold millions that they never toiled to earn,
But without our brain and muscle not a single wheel can turn.
We can break their haughty power, gain our freedom when we learn
That the union makes us strong.

In our hands is placed a power greater than their hoarded gold,
Greater than the might of armies, magnified a thousand-fold.
We can bring to birth a new world from the ashes of the old
For the union makes us strong.

Solidarity forever (1915)

La chanson développe le thème des travailleurs aux salaires misérables bien qu'ils soient à l'origine de toutes la richesse produite, de tout ce qui et construit par les hommes. Qu'ils aient accompli tout ceci prouve leur puissance. S'ils sont solidaires, rien ne peut leur résister.


Quand au bout d'huit jours le r'pos terminé
On va reprendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile
Mais c'est bien fini, on en a assez
Personne ne veut plus marcher
Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot
On dit adieu aux civ'lots
Même sans tambours, même sans trompettes
On s'en va là-haut en baissant la tête

Refrain
Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes
C'est bien fini, c'est pour toujours
De cette guerre infâme
C'est à Craonne sur le plateau
Qu'on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
Nous sommes les sacrifiés


Huit jours de tranchée, huit jours de souffrance
Pourtant on a l'espérance
Que ce soir viendra la r'lève
Que nous attendons sans trêve
Soudain dans la nuit et dans le silence
On voit quelqu'un qui s'avance
C'est un officier de chasseurs à pied
Qui vient pour nous remplacer
Doucement dans l'ombre sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes

C'est malheureux d'voir sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire
Si pour eux la vie est rose
Pour nous c'est pas la même chose
Au lieu d'se cacher tous ces embusqués
F'raient mieux d'monter aux tranchées
Pour défendre leur bien, car nous n'avons rien
Nous autres les pauv' purotins
Tous les camarades sont enterrés là
Pour défendr' les biens de ces messieurs là

Ceux qu'ont l'pognon, ceux-là r'viendront
Car c'est pour eux qu'on crève
Mais c'est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève
Ce s'ra votre tour, messieurs les gros
De monter sur le plateau
Car si vous voulez faire la guerre
Payez-la de votre peau



Les civelots sont les civils. Les embusqués, où les planqués sont ceux qui s’arrangent pour ne pas partir au front (souvent issus de la bourgeoisie).

Un purotin est quelqu'un qui est dans "la purée", dans la misère.

Composée par des soldats français entre 1915 et 1917, la chanson bien qu’interdite par le commandement pour propos défaitistes, s’est répandue avec des variantes dans toute l’armée.

Son amertume est d’autant plus émouvante qu’il ne s’agit pas d’une chanson de propagande, bien qu’elle reprenne le thème cher aux Internationalistes, du peuple se battant souffrant et mourant pour les riches et les puissants qui se gavent.

La chanson de Craonne (1915-1917 ?)

Auteur : le soldat inconnu… où un autre.

Dessin antimilitariste allemand



Auf, auf zum Kampf zum Kampf
Zum Kampf sind wir geboren
Auf, auf zum Kampf zum Kampf
Zum Kampf sind wir bereit


Refrain
Dem Karl Liebknecht dem haben wir's geschworen
Der Rosa Luxemburg reichen wir die Hand (x2)


Es steht ein Mann, ein Mann
So fest wie eine Eiche
Er hat gewiss, gewiss
Schon manchen Sturm erlebt


Vielleicht ist er schon morgen eine Leiche
Wie es so vielen Freiheitskämpfern geht (x2)


Wir fürchten nicht, ja nicht
Den Donner der Kanonen
Wir fürchten nicht, ja nicht
Die grüne Polizei


Den Karl Liebknecht haben wir verloren

Die Rosa Luxemburg fiel durch Mörder Hand

Auf, auf zum Kampf zum Kampf (1919)

La chanson évoque les événements de janvier 1919 en Allemagne. Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, proches du communisme de conseil avaient fondé quelques semaines auparavant la ligue de Spartacus, issue du parti communiste allemand. Des manifestations éclatent en janvier à l’initiative de certains sociaux démocrates exclus du gouvernement, rapidement débordés par l’ampleur du mouvement. Les Spartakistes soutiennent la contestation et sont accusés d’être responsables des troubles. Le gouvernement social démocrate passe un accord avec l’armée et le ministre de l’intérieur recrute les « corps francs » (des milices créées par d’anciens soldats et qui constitueront la base des S.A. d'Hitler quelques années plus tard). La répression est sanglante : les deux leaders communistes sont battus à mort et un certain nombre de sympathisants sont tués. Les coupables sont jugés, mais condamnés à des peines légères au vu de "circonstances atténuantes".

Rosa Luxemburg et Karl Liebnecht font désormais parti des martyrs de la cause internationaliste. La production littéraire et intellectuelle de Rosa Luxemburg est exceptionnelle.

Brecht, le fameux dramaturge reprend l'air d'une ancienne chanson de révolte dont il modifie les couplets. Il a écrit par ailleurs : « celui qui combat peut perdre, celui qui ne combat pas a déjà perdu ».

Des paroles hitlériennes seront écrites sur le même air. Le régime Nazi comprend le mot socialiste, le fascisme prétend défendre le peuple il n’est donc pas surprenant qu’Hitler tente de récupère un chant de lutte ouvrière... Une version plus tardive du chant sera adoptée par le régime est-allemand


Traduction (non chantable)

Debout debout au combat, au combat

Nous sommes nés pour ça

Allons à la bataille

Nous sommes prêts au combat


Refrain :

Nous avons promis à Karl Liebknecht ;

De donner la main à Rosa Luxemburg (x2)


Il y a un homme, un homme,

Solide comme un chêne.

Il a déjà déjà vécu bien des tempêtes


Il peut-être demain à l’état de cadavre

Comme tant de combattants de la liberté. (X2)


Non nous n’avons pas peur,

du tonnerre du canon

Non nous n’avons pas peur,

de la police en vert


Nous déplorons la mort de Karl Liebknecht

Et Rosa Luxemburg, on l’a assassinée (X2)

Rosa Luxemburg

Version anarchiste française

Makhnovstchina

Makhnovstchina, Makhnovstchina,

Tes drapeaux sont noirs dans le vent.

Ils sont noirs de nos peines,

Ils sont rouges de notre sang.


Par les monts et par les plaines,

Dans la neige et dans le vent,

A travers toute l'Ukraine,

Se levaient nos partisans.


Au printemps, les traités de Lénine

Ont livré l'Ukraine aux Allemands.

A l'automne, la Makhnovstchina

Les avaient jeté aux vents.


Makhnovstchina, Makhnovstchina,

Tes drapeaux sont noirs dans le vent.

Ils sont noirs de notre peine,

Ils sont rouges de notre sang.

L'armée blanche de Dénikine

Est entrée en Ukraine en chantant,

Mais bientôt la Makhnovstchina

L'a dispersée dans le vent.


Makhnovstchina, Makhnovstchina,

Armée noire de nos partisans,

Qui combattaient en Ukraine

Contre les rouges et les blancs.


Makhnovstchina, Makhnovstchina,

Armée noire de nos partisans,

Qui voulaient chasser d'Ukraine

A jamais l'ensemble des tyrans.


Makhnovstchina, Makhnovstchina,

Tes drapeaux sont noirs dans le vent.

Ils sont noirs de notre peine,

Ils sont rouges de notre sang.

Le chant des partisans de l’Amour (1922)

Traduction de la version russe (Wikipedia)

A travers les vallées et les collines

La division est allée de l’avant,

Pour ne faire qu’une bouchée de Primorie

Bastion de l’armée blanche.


Bannières roulées

Depuis Kumak les dernières blessures,

Les escadrons en furie

Contre les partisans de Priamur.


Durant des années années la gloire ne s’éteindra pas,

Et jamais ne palira

Car les partisans

Occupaient les villes.


Et ils resteront comme un conte de fées

Comme des lumières,

Les nuits orageuses de Spassk,

Les jours à Volchaev.


Vaincu les Atamans,

Le voïvode a disparu,

Et sur les bords du Pacifique

Notre voyage est terminé.


Divers auteurs : Le chant est basé sur un premier texte de Vladimir Alexeïevitch Guiliarovski sur un air populaire datant de 1828 : "la marche des fusilliers de Sibérie" En 1919, une version est écrite pour les Russes Blancs du régiment Drozdovski. La version bolchevique apparaît en 1922, exaltant l’armée rouge.

Version française communiste

(anonyme)

A l'appel du grand Lénine

Par le froid et la famine

Dans les villes et dans les champs

À l’appel du grand Lénine

Se levaient les partisans.(bis)


Pour reprendre le rivage

Le dernier rempart des blancs

Par les monts et par les plaines

S’avançaient les partisans. (bis)


Notre paix, c’est leur conquête

Car en mil neuf cent dix-sept

Sous les neiges et les tempêtes

Ils sauvèrent les Soviets. (bis)


Écrasant les armées blanches

Et chassant les Atamans

Ils finirent leur campagne

Sur les bords de l’Océan. (bis)


L’Amour est un fleuve sibérien.

Primorié, région de l’Extrème-Orient russe est la dernière ou les Russes Blancs sont parvenus à se maintenir jusqu’à la prise de Vladivostok par les Bolcheviques en octobre 1922.

Le gouvernement de Priamur est mis en place en 1921 par les Russes Blanc pour gérer la région.

Kumak est une ville dans l’Ouest de la Russie.

Spassk et Volchaev sont des villes situées sur le trajet du transibérien, qu’a suivi l'Armée Rouge pour parvenir en Sibérie.

Voïvode est un titre dans la Russie médiévale, correspondant à un gouverneur militaire (un marquis en France)

Les Atamans sont des généraux blancs, qui se comportaient souvent en seigneurs de la guerre. Le plus célèbre est Semenov, à la tête de la « Division Sauvage ».

La chanson exalte la dernière campagne contre les tzaristes : après un long et pénible voyage, l’Armée Rouge s’est emparée en quelques semaines du territoire de Primorié, défendu par les Armées Blanches, assez faiblement appuyées par l’Occident, mais renforcés par des troupes japonaises. La victoire rapide est obtenue, en grande partie grâce aux partisans et au soulèvement populaire.

La chanson devient un hymne à la lutte populaire et est traduite, de façon souvent très libre en de nombreuses langues. Le chant est repris par l'Armée Rouge lors de la seconde guerre mondiale.

La chanson aurait inspiré Anna Marly et Joseph Kessel pour l'écriture du "Chant des Partisans", à Londres durant la seconde guerre mondiale.

La version française libertaire écrite plus de quarante ans plus tard, évoque l’épopée de l’armée de Makhno en Ukraine.

Paysan autodidacte et génial tacticien il est à la tête d'une armée anarchiste, qui a compte jusqu'à 80.000 combattants, dont les drapeaux noirs sont marqués d’une tête de mort avec la devise : « mort à ceux qui s’opposent à la liberté des travailleurs ». La Makhnovchina combat tout d'abord les Allemands, à qui Lénine avait rétrocédé l'Ukraine en échange de la paix. Contre les Russes Blancs de Kolchak puis Denikine , elle s'allie avec les Bolchéviques puis est trahie par ces derniers. Makhno considère que les responsables de la défaite des libertaires sont ceux qui n’ont vu en l’anarchie d’autre intérêt que de piller les appartements bourgeois et ceux qui ont trahi pour les Bolchéviques.

Cette version a été enregistrée par de nombreux artistes, en particulier des groupes punks.

Nestor Makhno vers 1920

A l'appel du grand Lénine

Makhnovchina

Makhnovschina (1974)

Version des Russes Blancs :

cherchez vous-même !


Pourquoi ce drapeau teint en noir?
Pourquoi cette teinte sinistre?

- L'anarchie est faite d'espoir
Et la mort n'est pas son ministre.
Nous portons le deuil des méchants
Des ambitieux et des cupides,
Des capitalistes avides
Qui font couler du sang pour leurs penchants.
Nous annonçons l'approche du Grand Soir
Où les tyrans iront au pourrissoir.
Le capital engendre tous les crimes
Et nous portons le deuil de ses victimes.

Pourquoi ce drapeau teint en noir?
Pourquoi la couleur fatidique?

- Nous portons le deuil du pouvoir,
De l'État, de la Politique.
Nous voulons notre liberté
Et proclamons : Quoi qu'on dise,
Chacun pourra vivre à sa guise
Quand sera mise à mort l'autorité.
Nous annonçons la fin des potentats
Filous, voleurs, menteurs et apostats.
La liberté rend égaux tous les êtres
Et nous portons le deuil de tous les maîtres.

Pourquoi ce drapeau teint en noir,
Couleur d'une grande tristesse ?

- Les hommes, enfin, vont avoir
Leur commune part de richesse.
Nous portons le deuil des voleurs
Qui tous les jours font des bombances
Pendant que, dès leur prime enfance,
Péniblement triment les travailleurs.
Nous annonçons humaine société
Où tous auront bien-être et liberté.
Du patronat les formes sont maudites
Et nous portons le deuil des parasites.

Le chant du drapeau noir (1922)

Pourquoi ce drapeau teint en noir
Ainsi que le corbeau vorace?

- Les humains viennent d'entrevoir
Qu'ils sont tous d'une même race.
Nous portons le deuil des soudards
Vivant de rapine et de guerre.
Les peuples veulent être frères
Et des nations brûlent les étendards.
Nous annonçons l'ère de vérité,
Ère d'amour et de fraternité!
Des généraux l'existence est flétrie
Et nous portons le deuil de leur patrie.


Pourquoi ce drapeau teint en noir?
Est-ce une religion suprême?

- L'homme libre ne doit avoir
Pour penser nul besoin d'emblème!
L'anarchiste n'accorde pas
A ce drapeau valeur d'idole,
Tout au plus n'est-ce qu'un symbole,
Mais en lui-même il porte son trépas
Car annonçant la fin des oripeaux
Il périra comme tous les drapeaux.
En Anarchie où régnera la Science,
Pour tout drapeau l'homme aura sa conscience!

Etendard de la Makhnovchina

La chanson est construite comme un dialogue. A travers le drapeau noir, c'est l'idéal anarchiste qui est évoqué.

Les trois premiers couplets évoquent les ennemis : capitalistes parasites et militaires patriotes dont le drapeau noir va marquer la fin.

Le cinquième couplet proclame la mort du drapeau noir qui reste un drapeau, malgré tout et qui disparaîtra sitôt qu’il aura rempli son office. Si la rationalité remplace les nations et les religions, les drapeaux n’ont plus de raison d’exister, l’anarchisme disparaîtra une fois l’anarchie établie. Cette vision très idéale s’oppose à celle d’autres anti-autoritaires comme Malatesta, qui considèrent l’anarchisme comme un idéal qui sera toujours à construire.

Le drapeau noir apparait lors des révoltes des canuts, avec la devise "vivre en travaillant ou mourir en combattant". Présent de façon sporadique lors de la Commune, il est brandi « officiellement » en 1883 lors d’une manifestation interdite. Louise Michel l’aurait improvisé avec un vieux jupon fixé à un manche à balai. Après son arrestation elle déclare au juge :

« Ah, certes, monsieur l’avocat général, vous trouvez étrange qu’une femme ose prendre la défense du drapeau noir. Pourquoi avons-nous abrité la manifestation sous le drapeau noir ? Parce que ce drapeau est le drapeau des grèves et qu’il indique que l’ouvrier n’a pas de pain. Si notre manifestation n’avait pas dû être pacifique, nous aurions pris le drapeau rouge ; il est maintenant cloué au Père-Lachaise, au-dessus de la tombe de nos morts. Quand nous l’arborerons nous saurons nous défendre »

Elle écrit par ailleurs qu'elle arbore le drapeau noir en signe de deuil de la Commune et de ses martyrs.

Par la suite le drapeau noir est perçu comme la négation de tous les drapeaux, marquant ainsi le refus des Etats.

Lors de la révolution russe le drapeau noir est repris par les anarchistes makhnovistes qui lui ajoutent une tête de mort avec les mots « morts à tous ceux qui s’opposent à la liberté des travailleurs ».

Durant la guerre d’Espagne, les anarchosyndicalistes de la F.A.I/C.N.T brandissent un drapeau rouge et noir.

Louise Michel brandissant le drapeau noir

Sur cette butte là, y avait pas d'gigolette
Pas de marlous ni de beaux muscadins
Ah, c'était loin du moulin d'la galette,
Et de Paname qu'est le roi des pat'lins

Ce qu'elle en a bu, du beau sang cette terre
Sang d'ouvrier, sang de paysan,
Car les bandits, qui sont cause des guerres
N'en meurent jamais on n'tue qu'les innocents

La butte rouge, c'est son nom, l'baptème s'fit un matin
Où tous ceux qui grimpèrent, roulèrent dans le ravin
Aujourd'hui y a des vignes il y pousse du raisin
Qui boira d'ce vin là boira l'sang des copains

Sur cette butte là, on n'y f'sait pas la noce,
Comme à Montmartre où l'champagne coule à flôts
Mais les pauvr' gars qu'avaient laissé des gosses
Y f'saient entendre de terribles sanglots

C'qu'elle en a bu des larmes cette terre,
Larmes d'ouvriers, larmes de paysans,
Car les bandits, qui sont cause des guerres
Ne pleurent jamais car ce sont des tyrans.


Le texte évoque la « butte Bapaume », un lieu-dit de la Marne où ont eu lieu de sanglants combats sur le front de Champagne, d’où la référence aux vendanges.

Elle évoque la nécessité du souvenir où l'impossibilité de l'auteur (qui a combattu durant la guerre), d'oublier l'enfer. L'héroïsme des soldats n'y est pas magnifié. L'on y traite uniquement de la souffrance des hommes.

L'opposition entre la Butte Rouge et la Butte Montmartre a conduit à identifier la chanson à la Commune de Paris. « Les bandits qui sont cause des guerres » peuvent être vus comme les membres du gouvernement des empires ennemis des démocraties ou comme les dirigeants en général.

Cette chanson maintes fois reprise, devient l’hymne du mouvement pacifiste en France, jusqu’à ce que Boris Vian écrive le déserteur.

La Butte rouge (1923)

La butte rouge, c'est son nom l'baptème s'fit un matin
Où tous ceux qui grimpèrent roulèrent dans le ravin
Aujourd'hui y a des vignes, il y pousse du raisin
Qui boit de ce vin là boira les larmes des copains

Sur cette butte là on y r'fait des vendanges
On y entend des cris et des chansons
Filles et gars doucement y échangent
Des mots d'amour qui donnent le frisson

Peuvent-ils songer dans leurs folles étreintes
Qu'à cet endroit où s'échangent leurs baisers
J'ai entendu la nuit, monter des plaintes
Et j'y ai vu des gars au crâne brisé ?

La butte rouge c'est son nom, l'baptème s'fit un matin
Où tous ceux qui grimpèrent, roulèrent dans le ravin
Aujourd'hui y a des vignes, il y pousse du raisin
Mais moi j'y vois des croix portant l'nom des copains.


I dreamed I saw Joe Hill last night,
Alive as you or me
Says I, "But Joe, you're ten years dead,"
"I never died," says he (bis)

"In Salt Lake City, Joe," says I to him,
Him standing by my bed,
"They framed you on a murder charge,"
Says Joe, "But I ain't dead," (bis)

"The copper bosses killed you, Joe,
They shot you, Joe," says I.
"Takes more than guns to kill a man,"
Says Joe, "I didn't die (bis)

And standing there as big as life
And smiling with his eyes
Says Joe, "What they forgot to kill
Went on to organize (bis)

Joe Hill ain't dead, he says to me,
Joe Hill ain't never died.
Where working men are out on strike,
Joe Hill is at their side (bis)

"From San Diego up to Maine,
In every mine and mill,
Where workers strike and organize,"
Says he, You'll find Joe Hill (bis)

I dreamed I saw Joe Hill last night,
Alive as you or me
Says I, "But Joe, you're ten years dead,"
"I never died," says he (bis)

Traduction chantable

Dans un rêve j’ai vu Joe Hill,

Vivant comme toi et moi

"Mais Joe, t’es mort depuis dix ans,"

"Je ne suis pas mort," dit Joe (bis)

"A Salt Lake City, dis-je à Joe

Debout près de mon lit,

"Ils t’ont exécuté pour meurtre,"

"Je ne suis pas mort," dit Joe. (bis)

« Les patrons du cuivre t’ont tué, Joe,

Ils ont eu ta peau

« Il en faut plus pour tuer un homme"

Je ne suis pas mort," dit Joe (bis)

Et debout là, grand comme la vie

Avec des yeux souriants

Joe dit : « notre idéal est bien vivant

la lutte se poursuit » (bis)

Joe Hill n’est pas mort, me dit-il

Joe Hill n’est jamais mort.

Là où les travailleurs font grève,

Joe Hill est toujours là (bis)

De San Diego jusqu’au Maine,

Dans chaque mine, chaque usine,

Où les travailleurs luttent unis

Vous trouverez Joe Hill (bis)

J’ai rêvé que j’ai vu Joe Hill,

Vivant comme toi et moi

"Mais Joe, t’es mort depuis dix ans,"

"Je ne suis pas mort," dit Joe (bis)

I dreamed I saw Joe Hill last night (1930)

My will is easy to decide

For there is nothing to divide,

My kin don't need to fuss and moan-

"Moss does not cling to a rolling stone."

My body? Ah, If I could choose,

I would to ashes it reduce,

And let the merry breezes blow

My dust to where some flowers grow.

Perhaps some fading flower then

Would come to life and bloom again.

This is my last and final will,

Good luck to all of you, Joe Hill

Mon testament est facile à faire

Car il n'y a rien à diviser,

Inutile pour ma famille de se plaindre ni d'ergoter

"Pierre qui roule n'amasse pas mousse"

Mon corps? Ah, si je pouvais choisir,

Je le laisserais se réduire en cendres,

Et les brises transporter gaiement

Ma poussière jusqu’ à quelques fleurs

Ainsi peut-être, une fleur fanée

Reviendrait à la vie et fleurirait encore.

Ceci est ma dernière et ultime volonté,

Bonne chance à tous, Joe Hill.

Testament de Joe Hill

Joseph Hillström alias Joe Hill est un ouvrier américain d'origine suédoise. Il devient un syndicaliste de premier plan, connu pour ses chansons percutantes et ses caricatures. Il est condamné à mort pour un crime qu'il n'a probablement pas commis ; les juges l'ont chargé en raison de son engagement militant. Les dernières phrases écrites par Joseph Hillström sont pour le syndicalisme : « ne perdez pas de temps à me pleurer, organisez-vous ».

Joe Hill devient une icône de la lutte syndicale en Amérique du Nord. A sa mort, il est incinéré et les cendres sont réparties dans des enveloppes envoyées à toutes les sections syndicales de la I.W.W. afin qu’elles soient répandues dans tout le pays. Certaines sont confisquées par la poste, car l’action est jugée dangereusement subversive.

Le héros fait l’objet de nombreuses chansons, certaines sont encore chantées par les syndicalistes anglo-saxons. Celle-ci est l’une des plus célèbres. Ses plus fameuses interprétations sont celles de Paul Robeson, Joan Baez et Bruce Sprinsteen.

Joe Hill

Wohin auch das Auge blicket,

Moor und Heide nur ringsum.

Vogelsang uns nicht erquicket,

Eichen stehen kahl und krumm.


Refrain

Wir sind die Moorsoldaten

und ziehen mit dem Spaten

ins Moor.


Hier in dieser öden Heide

ist das Lager aufgebaut,

wo wir fern von jeder Freude

hinter Stacheldraht verstaut.


Morgens ziehen die Kolonnen

in das Moor zur Arbeit hin.

Graben bei dem Brand der Sonne,

doch zur Heimat steht ihr Sinn.


Heimwärts, heimwärts jeder sehnet,

nach den Eltern, Weib und Kind.

Manche Brust ein Seufzer dehnet,

weil wir hier gefangen sind.


Auf und nieder geh'n die Posten

keiner, keiner kann hindurch.

Flucht wird nur das Leben kosten,

vierfach ist umzäunt die Burg.


Doch für uns gibt es kein Klagen,

ewig kann's nicht Winter sein.

Einmal werden froh wir sagen:

Heimat, du bist wieder mein.


Dernier refrain

Dann zieh'n die Moorsoldaten

nicht mehr mit dem Spaten

ins Moor!

Le chant des marais (1933)

Moorsoldatenlied

Egalement connu sous le nom de Chant des déportés
Version française

Loin dans l'infini s'étendent
Les grands prés marécageux,
Pas un seul oiseau ne chante
Dans les arbres secs et creux.

Refrain
Ô terre de détresse
Où nous devons sans cesse
Piocher, piocher.


Dans ce camp morne et sauvage
Entouré de fils de fer,
Il nous semble vivre en cage
Au milieu d'un grand désert.


Bruits des pas et bruits des armes
Sentinelles jour et nuit
Et du sang, des cris, des larmes,
La mort pour celui qui fuit.


Mais un jour dans notre vie,
Le printemps refleurira,
Liberté, liberté chérie
Je dirai :« Tu es à moi ! »


Dernier refrain
Ô terre d'allégresse
Où nous pourrons sans cesse,
Aimer, aimer.


Dans ses Mémoires, Rudolf Goguel raconte la création de la chanson :

« Les seize chanteurs, pour la plupart membres de l'association ouvrière de chant de Solingen, défilaient bêche à l'épaule dans leurs uniformes de police verts (nos tenues de captivité de cette époque-là). Je menais la marche, en survêtement bleu, avec un manche de bêche brisé en guise de baguette de chef d'orchestre. Nous chantions, et déjà à la deuxième strophe, presque tous les mille prisonniers commençaient à entonner en chœur le refrain. De strophe en strophe, le refrain revenait de plus belle et, à la dernière, les SS, qui étaient apparus avec leurs commandants, chantaient aussi, en accord avec nous, apparemment parce qu'ils se sentaient interpellés eux aussi comme « soldats de marécage ».

« Aux mots « Alors n'envoyez plus les soldats du marais bêcher dans les marais », les seize chanteurs plantèrent leur bêche dans le sable et quittèrent l'arène, laissant les bêches derrière eux. Celles-ci donnaient alors l'impression de croix tombales. »

La chanson se répand au sein des camps où sont apparues des versions françaises. Elle a été traduite dans plusieurs autres langues et est devenue « le chant des déportés », chantée lors des commèmorations de l'holocauste ou des obsèques d'anciens déportés (notamment de Simone Weil). Il est interprété par l'armée française, les royalistes, les communistes et les anarchistes. L'air a été repris par le groupe féministe "les petites marguerites" pour écrire "l'hymne des femmes".

Travail forcé dans un camp de concentration nazi

Un site avec des chansons engagées et un tas d'autres sujets de réflexion :

Plus de 38.000 chansons protestataires :

Un site engagé avec notamment des vidéos d'Olivier Besancenot sur les chants révolutionnaires :

Les textes du spectacle

Les pavés

Refrain
Ce sont des amis éprouvés,
Crions tous : "Vivent les pavés !" (x2)

Loin d'être dans les rétrogrades
Les pavés font distinction
C'est pour parer les barricades
Et c'est dans l'opposition

A leur fermeté, rendons grâce,
Ce sont eux qui nous ont sauvés :
Tous, contre une odieuse race,
Avec nous ils se sont levés.

Leur éloquence est de nature
A faire de l'impression,
Nos mouchards ont la tête dure,
Mais ils ont senti la raison.

Chacun saisit son interprète
Leurs solides raisonnements ;
On ne peut que baisser la tête
Devant de pareils arguments.

Et par eux, au loin affermie,
Liberté, tu ne laisseras
De refuge à la tyrannie
Qu'aux lieux où l'on ne pave pas.

La canaille 

Dans la vieille cité française
Existe une race de fer,
Dont l’âme comme une fournaise
A de son feu bronzé la chair.
Tous ses fils naissent sur la paille,
Pour palais, ils n’ont qu’un taudis.
C’est la canaille !
Eh bien ! j’en suis !

Ce n’est pas le pilier du bagne ;
C’est l’honnête homme dont la main
Par la plume ou le marteau gagne,
En suant, son morceau de pain.
C’est le père, enfin, qui travaille
Les jours et quelquefois les nuits.
C’est la canaille ! etc.

C’est l’artiste, c’est le bohème
Qui, sans souper, rime rêveur
Un sonnet à celle qu’il aime,
Trompant l’estomac par le cœur.
C’est à crédit qu’il fait ripaille,
Qu’il loge et qu’il a des habits.
C’est la canaille ! etc.

C’est l’homme à la face terreuse,
Au corps maigre, à l’œil de hibou,
Au bras de fer à main nerveuse
Qui sortant d’on ne sait pas où,
Toujours avec esprit vous raille,
Se riant de votre mépris.
C’est la canaille ! Etc.

C’est l’enfant que la destinée
Force à rejeter ses haillons,
Quand sonne sa vingtième année,
Pour entrer dans nos bataillons.
Chair à canon de la bataille,
Toujours il succombe sans cris…
C’est la canaille ! etc.

Ils fredonnaient la Marseillaise,
Nos pères, les vieux vagabonds,
Attaquant en quatre-vingt-treize
Les bastilles dont les canons
Défendaient la vieille muraille !
Que de trembleurs ont dit depuis :
- « C’est la canaille ! » etc.

Les uns travaillent par la plume,
Le front dégarni de cheveux.
Les autres martèlent l’enclume,
Et se soûlent pour être heureux ;
Car la misère, en sa tenaille,
Fait saigner leurs flancs amaigris…
C’est la canaille ! etc.

Enfin, c’est une armée immense,
Vêtue en haillons, en sabots.
Mais qu’aujourd’hui la vieille France
Les appelle sous ses drapeaux,
On les verra dans la mitraille,
Ils feront dire aux ennemis :
C’est la canaille !
Eh bien ! j’en suis !

Bonhomme

Bonhomme, ne sens-tu pas
Qu’il est temps que tu te réveilles,
Bonhomme, ne sens-tu pas
Qu’il est temps que tu te réveilles ?
Voilà vingt ans que tu sommeilles,
Voilà vingt ans qu’à tes oreilles
La Liberté pleure et gémit.
Bonhomme,
Bonhomme,
Lève-toi, le jour luit.

Refrain
Et vive la Commune bon dieu

et vive la commune (bis)

Bonhomme, n’entends-tu pas
Le bourgeois railler ta misère !
Bonhomme, n’entends-tu pas
Le voisin railler ta misère!
Il dit que ton sang dégénère,
Ton âme, autrefois si fière,
S’affaisse aujourd’hui dans la peur!
Bonhomme,
Bonhomme,
Qu’as-tu fait de ton cœur ?

Bonhomme, n’entends-tu pas
Un refrain de chanson française,
Bonhomme, n’entends-tu pas
Un refrain de chanson française,
Ce refrain c'est la Marseillaise,
Celui qui fit quatre-vingt-treize!
A ce chant-là laisse l’outil.
Bonhomme,
Bonhomme,
Va chercher ton fusil!.

La danse des bombes

Oui barbare je suis
Oui j'aime le canon
La mitraille dans l'air
Amis, amis, dansons.

La danse des bombes
Garde à vous ! Voici les lions !
Le tonnerre de la bataille gronde sur nous
Amis chantons, amis dansons
La danse des bombes
Garde à vous ! Voici les lions !
Le tonnerre de la bataille gronde sur nous
Amis chantons !

L'acre odeur de la poudre
qui se mêle à l'encens.
Ma voix frappant la voûte
et l'orgue qui perd ses temps.

La nuit est écarlate.
Trempez-y vos drapeaux
Aux enfants de Montmartre,
la victoire ou le tombeau !
Aux enfants de Montmartre,
la victoire ou le tombeau !

Oui barbare je suis,
Oui j'aime le canon,
Oui, mon cœur je le jette
à la révolution !

La semaine sanglante

Sauf des mouchards et des gendarmes,
On ne voit plus par les chemins,
Que des vieillards tristes en larmes,
Des veuves et des orphelins.
Paris suinte la misère,
Les heureux mêmes sont tremblant.
La mode est aux conseils de guerre,
Et les pavés sont tous sanglants.


Refrain :
Oui mais!
Ça branle dans le manche,
Les mauvais jours finiront.
Et gare! à la revanche,
Quand tous les pauvres s'y mettront.
Quand tous les pauvres s'y mettront.



On traque, on enchaîne, on fusille
Tout ceux qu'on ramasse au hasard.

La mère à côté de sa fille,
L'enfant dans les bras du vieillard.
Les châtiments du drapeau rouge
Sont remplacés par la terreur
De tous les chenapans de bouges,
Valets de rois et d'empereurs

Demain les gens de la police
Refleuriront sur le trottoir,
Fiers de leurs états de service,
Et le pistolet en sautoir.
Sans pain, sans travail et sans armes,
Nous allons être gouvernés
Par des mouchards et des gendarmes,
Des sabre-peuple et des curés.


Le peuple au collier de misère
Sera-t-il donc toujours rivé?
Jusque à quand les gens de guerre
Tiendront-ils le haut du pavé ?
Jusques à quand la Sainte Clique
Nous croira-t-elle un vil bétail ?
À quand enfin la République
De la Justice et du Travail.

L’Internationale

Debout, les damnés de la terre
Debout, les forçats de la faim
La raison tonne en son cratère,
C'est l'éruption de la faim.
Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout, debout
Le monde va changer de base,
Nous ne sommes rien, soyons tout.

Refrain (répété deux fois)
C'est la lutte finale ;
Groupons nous et demain
L'Internationale
Sera le genre humain.

Il n'est pas de sauveur suprême
Ni Dieu, ni César, ni Tribun,
Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes
Décrétons le salut commun.
Pour que le voleur rende gorge,
Pour tirer l'esprit du cachot,
Soufflons nous-mêmes notre forge,
Battons le fer tant qu'il est chaud.

L'État opprime et la Loi triche,
L'impôt saigne le malheureux ;
Nul devoir ne s'impose au riche ;
Le droit du pauvre est un mot creux
C'est assez languir en tutelle,
L'Égalité veut d'autres lois ;
"Pas de droits sans devoirs, dit-elle
Égaux pas de devoirs sans droits."

L e drapeau rouge

Il apparut dans le désordre
Parmi les cadavres épars,
Contre nous, le parti de l'Ordre
Le brandissait au Champ de Mars

Refrain
Le voilà !, Le voilà ! Regardez !
Il flotte et fièrement il bouge,
Ses longs plis au combat préparés,
Osez, osez le défier !
Notre superbe drapeau rouge !
Rouge du sang de l’ouvrier ! (bis)

Sous la Commune il flotte encore
À la tête des bataillons
Et chaque barricade arbore
Ses longs plis taillés en haillons !

Noble étendard du prolétaire,
Des opprimés sois l’éclaireur.
À tous les peuples de la terre
Porte la paix et le bonheur !

Jean Misère 

Refrain :

Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…


Pas un astre et pas un ami !
La place est déserte et perdue.
S’il faisait sec, j’aurais dormi,
Il pleut de la neige fondue.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Est-ce la fin, mon vieux pavé ?
Tu vois : ni gîte, ni pitance,
Ah ! la poche au fiel a crevé ;
Je voudrais vomir l’existence.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…


Je fus bon ouvrier tailleur.
Vieux, que suis-je ? une loque immonde.
C’est l’histoire du travailleur,
Depuis que notre monde est monde.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Maigre salaire et nul repos,
Il faut qu’on s’y fasse ou qu’on crève,
Bonnets carrés et chassepots
Ne se mettent jamais en grève.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Malheur ! ils nous font la leçon,
Ils prêchent l’ordre et la famille ;
Leur guerre a tué mon garçon,
Leur luxe a débauché ma fille !
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?

De ces détrousseurs inhumains,
L’Église bénit les sacoches ;
Et leur bon Dieu nous tient les mains
Pendant qu’on fouille dans nos poches.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Un jour, le Ciel s’est éclairé,
Le soleil a lui dans mon bouge ;
J’ai pris l’arme d’un fédéré
Et j’ai suivi le drapeau rouge.
Ah ! Mais… Ça ne finira donc jamais ?…

Mais, par mille on nous coucha bas ;
C’était sinistre au clair de lune ;
Quand on m’a retiré du tas,
J’ai crié : Vive la Commune !
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Adieu, martyrs de Satory,
Adieu, nos châteaux en Espagne !
Ah ! mourons !… ce monde est pourri ;
On en sort comme on sort d’un bagne.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

À la morgue on coucha son corps,
Et tous les jours, dalles de pierre,
Vous étalez de nouveaux morts :
Les Otages de la misère !
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?….

La Ravachole

Dans la grand’ville de Paris
Dans la grand’ville de Paris
Il y a des bourgeois bien nourris
Il y a des bourgeois bien nourris
Il y a les miséreux
Qui ont le ventre creux :
Ceux-là ont les dents longues,
Vive le son, vive le son,
Ceux-là ont les dents longues,
Vive le son
D’l’explosion !

Refrain

Dansons la Ravachole,
Vive le son, vive le son,
Dansons la Ravachole,
Vive le son
D’l’explosion !


Il y a les sénateurs gâteux,
Il y a les sénateurs gâteux,
Il y a les députés véreux,
Il y a les députés véreux,
Il y a les généraux,
Assassins et bourreaux,
Bouchers en uniforme,
Vive le son, vive le son,
Bouchers en uniforme,
Vive le son
D’l’explosion !

Il y a les magistrats vendus,
Il y a les magistrats vendus,
Il y a les financiers ventrus,
Il y a les financiers ventrus,
il y a les argousins.
Mais pour tous ces coquins
Il y a d’la dynamite,
Vive le son, vive le son,
Il y a d’la dynamite,
Vive le son
D’l’explosion !


Ah, nom de dieu, faut en finir !
Ah, nom de dieu, faut en finir !
Assez longtemps geindre et souffrir !
Assez longtemps geindre et souffrir !
Pas de guerre à moitié !
Plus de lâche pitié !
Mort à la bourgeoisie,
Vive le son, vive le son,
Mort à la bourgeoisie,
Vive le son
D’l’explosion !

Le temps des cerises

Quand nous en serons au temps des cerises
Et gai rossignol et merle moqueur
Seront tous en fête
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au coeur
Quand nous chanterons le temps des cerises
Sifflera bien mieux le merle moqueur

Mais il est bien court le temps des cerises
Où l'on s'en va deux cueillir en rêvant
Des pendants d'oreilles
Cerises d'amour aux robes pareilles
Tombant sous la feuille en gouttes de sang
Mais il est bien court le temps des cerises
Pendants de corail qu'on cueille en rêvant

Quand vous en serez au temps des cerises
Si vous avez peur des chagrins d'amour
Évitez les belles
Moi qui ne crains pas les peines cruelles
Je ne vivrai pas sans souffrir un jour
Quand vous en serez au temps des cerises
Vous aurez aussi des chagrins d'amour

J'aimerai toujours le temps des cerises
C'est de ce temps-là que je garde au coeur
Une plaie ouverte
Et Dame Fortune, en m'étant offerte
Ne saura jamais calmer ma douleur
J'aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au coeur.